Ce que l’intelligence artificielle va changer pour les managers

A l’avenir, le rôle de décideur n’échappera pas aux grands bouleversements de l’IA.

Nombreux sont ceux qui prédisent que l’intelligence artificielle (IA) va modifier une quantité significative d’emplois, en particulier les postes intermédiaires. Pourtant, sa maturité est très variable selon les fonctions de l’entreprise. Certaines sont d’excellentes candidates à l’IA, comme la fonction comptable qui s’appuie de plus en plus sur la « robotic process automation » (RPA) (technologie qui permet d’automatiser les tâches répétitives, NDLR). D’autres semblent à première vue plus hermétiques à cette révolution, en particulier toutes celles requérant un nombre important d’interactions humaines.

Parmi celles-ci, la fonction managériale occupe une place toute particulière. Les activités des managers peuvent facilement être cartographiées selon trois axes : la prise de décision, l’encadrement et la motivation des équipes et la définition puis l’exécution d’une vision stratégique. A priori, difficile de déléguer de telles compétences à une machine. Pourtant, la fonction managériale ne va pas être épargnée par ce bouleversement technologique.

L’IA et la prise de décision 

Dans le domaine de la prise de décision, de nombreux algorithmes voient le jour pour offrir des solutions prédictives et prescriptives. En effet, lorsqu’elle dispose de suffisamment de données, l’IA est capable de prendre des décisions permettant de fiabiliser une action, d’optimiser un mode de fonctionnement ou encore d’éviter un incident.

Dans le domaine industriel, prenons l’exemple d’un chef d’atelier devant anticiper le remplacement de certaines pièces critiques sur ses machines de production. Une IA entraînée à analyser les sons émis par ces dernières pourra ainsi signaler avec précision à quel moment il faudra remplacer telle ou telle pièce, juste avant qu’elle ne casse, rien qu’en analysant le comportement sonore des machines en fonctionnement.

Dans le domaine du marketing, et plus particulièrement du marketing digital, une IA qui aura été entraînée à associer les informations « slogan + image + profil data de l’audience + résultats de la campagne » sera capable de fournir suffisamment d’indications pour orienter la prise de décision concernant de futures campagnes publicitaires.

Dans le domaine de l’intelligence économique, l’analyse des images satellites par des algorithmes d’intelligence artificielle permet déjà d’identifier très précisément le niveau d’activité d’une zone industrielle. Par exemple, l’IA est désormais en mesure de déterminer – grâce à l’analyse d’images satellites – le niveau de production d’un constructeur automobile (voitures qui entrent et sortent d’un parking) ou d’une raffinerie pétrolière (nombre de camions y déchargeant du pétrole brut). De telles données sont très prisées par les instituts d’analyses économiques et financières et permettent ensuite à leurs clients d’orienter leurs décisions stratégiques.

A l’aune de ces éléments, il paraît clair que le potentiel de l’IA dans la prise de décision va croître de manière constante. Selon le secteur et le domaine d’activité, il pourra toutefois varier. Parfois, l’IA permettra de soutenir le processus de prise de décision et d’autres fois, elle remplacera tout bonnement le manager dans cette tâche.

L’IA et l’encadrement des équipes 

A priori, confier à un algorithme d’encadrer et de motiver les équipes paraît une idée saugrenue. Cependant, les dernières avancées dans le deep learning – cette branche de l’IA capable d’analyser et d’interpréter le langage naturel (humain), notamment grâce à des réseaux de neurones artificiels – conduisent à envisager les choses sous un autre angle.

En effet, grâce à l’analyse des microexpressions du visage, de la posture, des propos, des messages écrits, l’IA pourra bientôt être en mesure de détecter les signaux de désengagement et de démobilisation des salariés. Une solution médicale permet déjà de détecter, en à peine cinq minutes, une dépression ou un syndrome de stress post-traumatique chez un patient, en analysant, entre autres, l’amplitude du sourire, le caractère fuyant du regard, les intonations de la voix et la prononciation des voyelles (lire aussi l’article : « L’intelligence artificielle dans le monde réel »).

L’IA permet aussi de formuler des recommandations. La société Cogito a ainsi développé pour les centres d’appel un logiciel capable de détecter les signaux d’insatisfaction chez les clients grâce à l’analyse des conversations téléphoniques (ton de la voix, débit de parole, etc.) et dispense des conseils sous la forme de coaching auprès des employés du call-center.

Même si tout cela reste encore assez expérimental, les intelligences artificielles vont de plus en plus être en mesure de fournir des services liés à l’encadrement et à la motivation des équipes. Toutefois, il paraît nécessaire de vérifier l’acceptabilité de telles solutions technologiques auprès des employés qui risquent d’être quotidiennement « analysés » et « conseillés » par des algorithmes.

L’IA et l’élaboration d’une vision stratégique 

Plus on s’oriente vers des activités qui relèvent du leadership, moins l’emprise de l’IA est forte. C’est le cas de la définition et de l’exécution d’une vision stratégique. Il est ici important de distinguer deux types de visions. La première est « personnality-oriented », c’est-à-dire indissociable de la personnalité de celui qui la porte. On la retrouve chez des patrons emblématiques, tels qu’Elon Musk. Celle-ci n’est pas modélisable par un algorithme et il n’existe pas « une vision » mais « des visions » aussi multiples qu’il existe de managers-leaders différents. La deuxième est une vision orientée « résultats financiers », qui s’appuie davantage sur des critères rationnels tels que l’optimisation du chiffre d’affaires. Or, cette dernière est par nature beaucoup plus facilement modélisable et court donc le risque à terme d’être cannibalisée par l’IA.

Développer sa complémentarité avec l’IA

Les managers vont donc devoir approfondir leur complémentarité avec l’IA, apprendre à collaborer avec elle, et développer un regard critique. Ce n’est que dans de telles conditions qu’ils pourront être « augmentés » plutôt que « remplacé » par elle. Pour cela, ils devront de plus en plus s’orienter vers des activités de leader. Le développement d’une vision singulière sera un atout précieux, tout comme la capacité à encadrer et à motiver les troupes en privilégiant tout ce que l’IA ne maîtrise pas comme l’écoute attentive, l’empathie et la bienveillance (lire aussi la chronique : « IA : l’intelligence cognitive ne suffit pas »).

Ils devront aussi apprendre à collaborer avec l’IA, afin d’en tirer des bénéfices au quotidien. Ils pourront, par exemple, s’appuyer sur les analyses d’algorithmes pour asseoir leurs décisions ou consulter une intelligence artificielle pour détecter les « signaux de détresse » émis par leurs équipes. Enfin, ils devront également acquérir une vision critique sur les analyses et les conseils fournis par l’IA.

Cela implique d’importants changements dans la définition même du rôle de manager. Celui-ci devra renoncer à certaines décisions et à certaines analyses, et donc céder de son pouvoir à un algorithme. Il devra toutefois également développer tout ce qui le distingue de l’IA, à savoir une vision stratégique qui lui est propre, l’écoute attentive et la bienveillance auprès de ses collaborateurs.

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