Entreprises, votre écosystème est-il le bon ?
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Elargir son périmètre de parties prenantes peut être source de nombreuses opportunités.
Pourquoi nous entêtons-nous à jouer aux devins en cherchant à définir le plan de marche de nos entreprises ? Alors que les écosystèmes dans lesquels ces dernières évoluent sont devenus instables, les outils d’analyse et d’aide à la prise de décision utilisés, et enseignés, auraient-ils perdu de leur efficacité ?
Tous ont en commun de considérer une activité donnée, de fixer des objectifs et de définir les moyens pour y arriver. Dans cette optique, ils rationalisent davantage l’action qui conduit au but que le choix du but lui-même. Et si notre scénario ne se réalise pas ? Si malgré tous nos efforts, l’objectif défini n’est pas le bon ? Dans ce cas, nous sommes amenés à remettre en cause le modèle mental que nous avions élaboré pour tenir compte des surprises. Ces dernières proviennent souvent d’activités connexes dont les impacts n’ont jamais été envisagés. Par exemple, quel serait l’impact sur la filière nucléaire d’une nouvelle génération de batteries ouvrant la possibilité d’une autoconsommation d’électricité produite localement ?
Observer son périmètre élargi
Un premier pas vers une évolution des pratiques serait un changement de logique : aujourd’hui, nous cherchons à voir loin dans le temps (logique de prédiction). Il s’agirait plutôt de voir encore plus loin en considérant davantage d’éléments interagissant avec l’activité (logique d’interaction). Autrement dit, élargir le périmètre des impacts de l’entreprise sur son environnement, et réciproquement. Pour cela, il faut reconsidérer les frontières de l’écosystème d’affaires pour tenir compte d’autres parties prenantes bien réelles et trop souvent ignorées. C’est ce périmètre élargi qu’il s’agit de surveiller. En effet, ce sont de ces périphéries que peuvent naître des opportunités ou des menaces.
Par exemple, une entreprise comme Blackberry n’a pas su s’inscrire dans l’écosystème visant à gérer l’interaction entre l’humain et la machine. Son activité s’est limitée à la communication directe entre individus. Pourtant elle possédait déjà un système de type plateforme qui la prédisposait à élargir son activité. N’ayant pas su le reconnaître, elle a laissé Apple redéfinir l’interaction que nous avons avec la technologie et l’utilisation que nous faisons des smartphones.
Créer une fonction en charge des périphéries
Plus concrètement, la création d’une figure, responsable de ses périphéries, pourrait être envisagée comme une première action vers une entreprise plus à même de réduire l’incertitude. Déjà en 1979, Charan et Freeman introduisaient dans un article intitulé « Stakeholder negotiations: Building bridges with corporate constituents » de la Management Review, l’idée d’un « stakeholder manager » (manager des parties prenantes), que nous reprenons ici mais dont nous élargissons la portée.
En effet, selon ces auteurs, les parties prenantes existent et sont identifiées (ou facilement identifiables), et leurs préoccupations doivent être traitées en fonction de leur pouvoir, de l’urgence de leurs demandes et de l’importance de leur bonne volonté concernant la survie de l’entreprise. Cela nous semble très insuffisant. En effet, élargir cette notion permettrait d’inclure des relations nouvelles. Ce qui permettrait de faire face à deux situations fréquemment rencontrées :
- les acteurs croient se connaître mais ne se connaissent pas ;
- les acteurs n’ont pas été identifiés et ne savent pas encore comment leurs enjeux interagissent mutuellement.
Dans les deux cas, c’est par l’exploration qu’il est possible de découvrir quels sont les intérêts communs et d’agir ainsi en conséquence (lire aussi l’article : « Comment obtenir l’adhésion de tout l’écosystème »).
Partager le bénéfice des coûts évités
Pour illustrer le premier cas, imaginons qu’une agence de communication a pour habitude de produire des plaquettes promotionnelles pour ses clients. Elle ne se soucie pas nécessairement de la quantité réellement utilisée, si bien qu’à la fin d’une campagne de publicité, des documents produits en excès sont jetés. Ceci représente un coût pour le client et pour l’agence qui les a produits. Au lieu de fabriquer et de livrer en une seule fois, l’agence pourrait s’intéresser au budget publicitaire de son client en livrant progressivement selon les besoins réels, puis en partageant à part égale le bénéfice des coûts évités.
Illustrons aussi le deuxième cas correspondant à la situation de partenaires ou de clients potentiels d’une nouvelle entreprise. Prenons le cas fictif d’un entrepreneur ayant conçu un robot permettant de poser plus facilement et rapidement des voies ferrées (lire aussi la chronique : « Entrepreneuriat : et s’il suffisait de ne pas définir a priori son but pour réussir ? »). Si l’écosystème retenu par l’entrepreneur est celui relatif à la pause et à la maintenance des voies, il va donc solliciter les prestataires exécutant les travaux ferroviaires. Ce faisant, il ignore l’exploitant qui fait circuler les trains. Or ce dernier pourrait pourtant devenir le client principal, étant donné la réduction du temps nécessaire aux réparations que permettraient le robot. Cette situation n’est pas spécifique à la création d’une entreprise et peut aussi se produire dans le cas d’une entreprise existante, devenue trop coutumière d’un périmètre d’activité donné.
Changer les habitudes
Notre figure de manager des parties prenantes serait chargée de surveiller les effets induits des activités de l’entreprise dans son écosystème redéfini et nécessairement élargi, de reconnaitre les changements qui pourraient se transformer en opportunités et de les concrétiser en partenariat. Cependant, la réussite et l’efficacité de la mise en place de ce type de poste dépend de l’engagement de l’organisation à changer ses habitudes. Cela nécessite un dirigeant très entreprenant. Il faut aussi le relais d’intrapreneurs, c’est-à-dire de toute personne de l’organisation intéressée par ce qui n’est pas encore et qui pourrait être, avec une redéfinition et un élargissement des bénéficiaires.