Ils s’appellent les « Sustainable Natives » : ils vont bouleverser les entreprises
Demain aucune politique ne pourra se décider sans prendre en compte les opinions d’une génération qui veut être certaine qu’elle laissera une planète viable à ses propres enfants. » L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve analyse devant les directeur des ressources humaines réunis par le Groupe IGS pour ses 11èmes journées Dirigeants en pays d’Avignon – consacrées cette année à « L’entreprise providence » – les grands défis auxquels vont être confrontés les politiques dans les années à venir. Mais aussi les entreprises. Parce qu’elles vont bientôt commencer à recruter ceux qu’on appelle les « sustainable natives » – nés après 2000 et qui entrent aujourd’hui dans l’enseignement supérieur – pour lesquels le défi environnemental est crucial. « Ce qui va le plus impacter les entreprises dans les années à venir c’est la transition écologique. Pas la déglobalisation, le Brexit ou ce curieux personnage qu’est Donald Trump », enfonce le clou l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et actuel président de la Fondation Jacques Delors, Pascal Lamy, devant la même assemblée.
L’arrivée des « Sustainable natives »
La génération « digital natives » a à peine fini de secouer les entreprises qu’une vague bien plus importante va les submerger. Celle des « sustainable natives » qui demandent un « vrai projet d’entreprise et de transformation », analyse Geneviève Férone-Crozet, co-fondatrice de l’agence de notation Prosphil et vice-présidente de la Fondation Nicolas-Hulot. Parce que face à la supposée incapacité de l’Etat à se réformer, les entreprises sont de plus en plus considérées comme devant apporter des solutions. « Ce basculement de la confiance vers les entreprises les expose à une exigence de redevabilité. La RSE est hors d’œuvre à côté de la vague qui monte et met la soutenance du système au cœur même des business models », reprend Pascal Lamy.
Selon la 8ème édition de l’étude Millennial Survey de Deloitte 20% des jeunes eux pensent qu’elles sont les plus à mêmes de résoudre les défis mondiaux les plus urgents, dont le changement climatique, la répartition des richesses ou encore la protection des données. Une confiance proche de celle qu’ils placent dans les gouvernements (28%) et dans les ONG (21%). Pour autant, s’ils sont 42% à considérer que les entreprises en général ont un impact positif sur la société, 83% sont d’accord avec l’idée qu’elles « privilégient l’atteinte de leurs propres objectifs plutôt que de prendre en compte l’ensemble de la société ». « Les jeunes disruptent le monde d’aujourd’hui autant qu’ils sont disruptés. Leurs comportements et leur adaptation sont les signes de transformations profondes des modèles d’entreprise, d’emploi et de consommation, qui traversent en réalité toutes les catégories d’âge. Ils pressent fortement les organisations privées de changer pour relever les défis d’un monde qui va de plus en plus vite » analyse Laurence Monnet-Vernier, Human Resources Partner chez Deloitte.
Comment avoir une vision sociétale ?
« Les entreprises ont une vision à beaucoup plus long terme que les politiques. Je crois à l’entreprise responsable et engagée. Notamment face aux défis environnementaux qui vont considérablement faire monter les primes d’assurance », affirme Philippe Donnet, le directeur général d’un des principaux groupes d’assurance mondial, Generali. Il n’en refuse pas moins d’arrêter d’assurer des mines de charbon – « Ce n’est pas une question d’argent – il s’agit pour nous de sept millions d’euros sur 70 milliards d’euros de prime – mais de ce que cela changerait ou pas pour la planète au-delà du symbole » – tout en transformant les 14 000 hectares de terres agricoles que gère son groupe pour les engager dans les développement durable. Et de se référer aux indices du Dow Jones Sustainibility Index qui « récompensent les entreprises les plus performantes selon des critères économiques, environnementaux et sociaux ».
Deloitte trace le portrait de jeunes qui demandent de plus en plus à leur entreprise d’adopter une vision sociétale face aux bouleversements dans la planète. Dans les critères de choix d’emploi le salaire n’arrive ainsi qu’en huitième position selon la dernière enquête sur l’emploi de la Conférence des grandes écoles « L’engagement social, la volonté de créer son entreprise, la quête de sens sont des données de plus en plus importantes pour nos diplômés », explique la vice-présidente de la CGE, Alice Guilhon, qui regrette d’ailleurs que « les palmarès des Grandes écoles restent centrés sur le niveau de salaire alors que les étudiants ont d’autres ambitions ».
La naissance des « sociétés à mission »
Les mutations du rôle des entreprises sont portées par la loi PACTE qui a été promulguée en mai dernier et qui précise notamment que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Et d’insister : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » « La RSE entre au cœur de la gouvernance. Les entreprises en ont parfaitement les codes mais ne modifient pas pour autant véritablement leur stratégie », regrette Geneviève Férone-Crozet.
La loi PACTE acte également la naissance des « sociétés à mission » en France après par exemple celle des Benefit Corporations aux Etats-Unis : « Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ». La bonne exécution des objectifs sociaux et environnementaux fait ensuite « l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant ». La mutuelle MAIF a par exemple adopté ce nouveau statut. « Mais attention, on peut avoir tous les codes de la RSE sans être pour autant utiles à la société. La mission c’est d’améliorer le sort de ses concitoyens ou de la planète », note encore Geneviève Férone-Crozet. « La norme du futur pour les entreprises c’est celle de leur prélèvement de ressources naturelles. La performance devra être analysée différemment », assène de son côté Pascal Lamy.
Comment améliorer les relations au travail
Être heureux au travail est encore plus essentiel pour les jeunes générations que pour les précédentes. Mais comment l’estimer ? « Dans l’avenir on ne pourra plus seulement analyser la réussite d’un manager en fonction de ses seuls résultats. Il faudra aussi analyser le process », établit Vincent Binetruy, le directeur général de Top Employers France, organisme de certification international qui « reconnaît l’excellence des pratiques RH ». Avec la loi PACTE les entreprises s’interrogent donc sur leur identité. Cela a par exemple été le cas pour Veolia Environnement comme l’explique son directeur des ressources humaines, Jean-Marie Lambert : « Nous avons co-construit notre projet d’entreprise aussi bien avec les organisations syndicales qu’avec un comité d’ »amis critiques » tout en nous inspirant des meilleures pratiques de chacun des pays dans lesquels nous sommes présents ».
Le but est également de reconstruire un lien entre les salariés et leur entreprise « abimé » par la cascade de plans sociaux des années 90. « Les entreprises sont grandement responsables de la méfiance qu’ont envers elles les salariés », analyse le DRH. Une vision que ne partage pas exactement Denis Olivenne, président du conseil de surveillance de CMI France (groupe de presse qui édite Elle, Public ou encore Télé 7 Jours), pour lequel le « maternage est généralisé aujourd’hui avec une « Big Mother » qui met l’entreprise au centre et exige d’elle qu’elle ait une vision sociétale et transparente ». Sa vision du dirigeant actuel ? « Je suis leur chef donc je les suis. Pour paraphraser Ledru Rollin un dirigeant doit être un catalyseur d’énergie, celui qui donne l’élan commun. » Pierre Lescure, ancien dirigeant de Canal+ et actuel président du Festival de Cannes, prône lui aussi la transparence. Totale : « Chaque jour nous publiions à destination de tous nos employés notre nombre d’abonnés avec la courbe de hausse et de baisse et les raisons de désabonnement ».
Changer de culture
Les relations de travail changent peu à peu. « On passe d’une estimation du travail par la présence à une estimation par le travail effectué », salue l’ancienne ministre du Travail et actuelle directrice du pôle social de Slaci Saint-Honoré, Myriam El Khomri qui insiste sur la « nécessité d’améliorer les relations de travail pour « éviter aussi les arrêts de travail » : « Aujourd’hui on travaille sur la notion de pénalité pour les entreprises qui génèrent beaucoup d’arrêts de travail, un peu sur le principe du « pollueur-payeur » ». « La peur de la sanction, l’impossibilité d’admettre son erreur, est l’un des pires maux de l’entreprise. Il faut une culture du risque », remarque Stéphanie Monsénégo, fondatrice du cabinet SCM Conseil qui « accompagne les entreprises dans les dossiers complexes ».
La conclusion des journées de l’ISG revenait à Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire en charge des retraites et président d’honneur de Parallaxe, le think tank pédagogique de HEP Education : « Le sujet n°1 est de remettre en cause tout notre système. Dont un système éducatif qui juge individuellement quand la réussite est collective, qui forme des jeunes très créatifs mais inaptes à l’échec. Des purs sang qu’il faut toujours rassurer. On doit passer de la performance à l’épanouissement. Il faut redonner le goût du travail. Donner la fierté de l’œuvre accomplie. Soutenir ceux et celles qui prennent des risques ! »