La transition numérique

Le numérique n’est pas seulement un ensemble de techniques qui permettent aux entreprises de travail­ler plus efficacement et de développer de nouveaux canaux de relation avec leurs clients et fournisseurs : il est aujourd’hui la principale force de transformation des entreprises1 :

Le numérique transforme les chaînes de valeur et en particulier les fonctions d’intermédiation. Les nouvelles formes de concurrence qui émergent dans tous les secteurs s’appuient d’abord sur lui.

LE NUMÉRIQUE TRANSFORME PROFONDÉMENT LES ENTREPRISES

L’innovation, et plus encore la “capacité innovatrice” (c’est-à-dire l’innovation continue, à un rythme de plus en plus rapide), devient le principal facteur de différen­ciation concurrentielle. Cette innovation, appuyée sur le numérique, porte avant tout sur le modèle d’affaires de l’entreprise, c’est-à-dire la manière dont elle agence l’ensemble de ses actifs, de son écosystème et de ses relations pour gagner de l’argent2.

L’importance prise par “l’expérience client” impose de progresser vers une forme de “personnalisation de masse” encore difficile à réaliser de manière satisfaisante.

Une nouvelle “classe d’actifs” émerge, pour reprendre l’expression du World Economic Forum3 : les données, qu’il faut apprendre à collecter, gérer et traiter de manière pertinente et responsable à la fois.

Les pratiques et les aspirations liées au numérique s’importent dans l’entreprise : horizontalité, informalité, transparence, nomadisme…

Pour saisir ces forces de changement, l’entreprise doit apprendre à s’ouvrir et à travailler d’une manière plus collaborative avec ses fournisseurs, ses clients et même ses concurrents : co-innovation, co-création de valeur, standards, plateformes, places de marché… Les marchés deviennent des “écosystèmes” au sein desquels des acteurs situés à des niveaux différents de la chaîne de valeur collaborent et se concurrencent à la fois, dans des configurations qui changent en permanence.

Ces transformations créent à leur tour de nouvelles tensions et de nouveaux risques. Désormais, toute faille majeure du système d’information (SI) devient une crise d’entreprise. La prévention et la gestion des risques numériques deviennent des enjeux majeurs, qu’il faut traiter techniquement, mais aussi en sensibilisant et formant les collaborateurs sur les risques liés au numé­rique et à ses usages.

Au-delà des risques sécuritaires, l’activité des entre­prises s’inscrit dans un cadre de plus en plus réglementé et normé, notamment en termes de propriété intellec­tuelle, ainsi que de protection des consommateurs et de la vie privée. Au-delà même de la dimension réglemen­taire, il s’agit de préserver, voire de recréer, une confiance aujourd’hui fragilisée4. Comment exploiter la richesse potentielle des données “massives” sans attenter à la vie privée ? Comment réaliser une “personnalisation de masse” qui donne une voix au client ? Comment innover d’une manière responsable ? L’éthique devient un enjeu stratégique pour l’entreprise.

Face à de tels défis, les entreprises doivent repenser en profondeur leur organisation vers plus d’agilité, d’auto­nomie des équipes, d’ouverture et de collaboration, au service d’une innovation qui ne doit pas s’opposer à la performance opérationnelle. Cela suppose de casser les silos à l’intérieur de l’organisation, d’alléger le poids de la culture hiérarchique, de favoriser l’initiative et le partage d’information, de faciliter le travail d’équipe (y compris au sein d’équipes géographiquement dispersées). Cela suppose aussi de développer la culture numérique des équipes, pour les rendre actrices de la transformation numérique, ainsi que des dirigeants (“e-leadership”).

Beaucoup d’entreprises confient à de nouvelles direc­tions “digitales” le soin d’engager leur transformation numérique. Outre que ces compétences sont rares et très recherchées, la dimension multidimensionnelle de cette transformation rend plus que jamais nécessaire d’y associer l’expertise interne de la fonction “systèmes d’information” (ou “IT”, pour Information Technologies).

Les nouveaux rôles de la Fonction SI

Longtemps considérée comme une fonction technique déléguée à des spécialistes, la fonction “systèmes d’information” a dû s’adapter à des changements rapides. Dans un premier temps, il s’est agi de se concentrer sur les usages plutôt que sur la maîtrise des technologies : la DSI (Direction des Systèmes d’Information) devient prestataire de services au bénéfice des directions “métiers”.

Aujourd’hui, avec le numérique, il faut s’attacher à la com préhension et l’appréhension des ruptures qu’il génère au sein des entreprises. Cela requiert un nouveau leadership pour aider l’entreprise et sa direction générale à se mouvoir dans ce nouvel environnement, voire dans de nombreux cas, à se transformer ou se réinventer. Ce leadership ne se limite plus à la DSI, même si celle-ci remplit, a minima, un rôle essentiel de garant de la cohérence des systèmes et de la sécurité numérique de l’entreprise. Il se partage avec la direction générale, de nouvelles directions numériques (ou “digitales”, ou “data”) et les directions métier.

Par ailleurs, la DSI n’échappe pas à sa propre “transformation numérique”. Elle doit concilier l’excellence opérationnelle et la continuité de fonctionnement (legacy) avec l’agilité et l’ouverture qui permettent d’innover et d’agir dans l’économie numérique. Elle travaille de concert avec le Chief Digital Officer, s’il existe, tout en gérant le patrimoine numérique, sa cohérence et son évolution. Elle contribue à éclairer les dirigeants sur les opportunités technologiques et les enjeux stratégiques de la transition numérique de l’entreprise.

Bref, la DSI ne peut pas (ou plus) se penser omniprésente et omnipotente. Autour d’un “coeur de métier” qui associe architecture, “enabling” (outillage de la gestion de données et la création de services), intégration et sécurité, il existe autant de configurations possibles que d’entreprises. À la fois fondation, facilitateur et aiguillon, le DSI doit aussi devenir force de proposition : éclairer sur les enjeux et les outils de la transformation numérique (veille), aider les métiers à se “disrupter” eux-mêmes, appréhender les nouvelles plateformes et les nouveaux écosystèmes ouverts… À titre d’exemple, plusieurs DSI ont choisi d’investir pour faciliter l’accès de “clients” externes (et internes) aux fonctions du système d’information, via des API et autres connecteurs sécurisés, afin de faciliter la mise en œuvre de stratégies d’innovation ouverte quelles qu’elles soient.

À la fois gardiens du temple, orchestrateurs, créateurs de liens, brokers de services, collecteurs d’innovation, les dirigeants de la Fonction SI auront à assurer dans l’avenir un ensemble de rôles et de responsabilités essentiels pour relever les défis posés par la transformation numérique des entreprises.

(extrait de La Fing/Cigref, Transitions2, “ecology by design”, avril 2016)