Il est temps d’arrêter de former les managers
La formation des cadres se concentre aujourd’hui sur le savoir-faire, alors que c’est la pédagogie du savoir-être qui suscite l’engagement et qui stimule l’efficacité des équipes.
Quand on lui parlait de son activité de professeur de littérature, le grand écrivain américain récemment disparu, Philip Roth, répondait : « Cela consiste à enseigner ce qui ne peut pas s’apprendre. » Et il savait de quoi il parlait, lui qui, pendant plus de trente ans, a écrit chaque jour sans relâche pour parfaire ses manuscrits dans les moindres détails, toujours en proie au doute malgré son talent et son succès. Sa formule est bien sûr ironique, mais, comme tous les traits d’esprit, elle a une part de vérité. On peut aisément la prolonger, l’adapter au monde de l’entreprise et, plus particulièrement, à la mission de manager. Combien d’heures passées en formation de « management », de « leardership » ou encore de « team building », pour finalement arriver à la même conclusion fataliste que Philip Roth : « La formation des managers ? Cela consiste généralement à enseigner ce qui ne peut s’apprendre. » Il n’est bien sûr absolument pas question d’abandonner les managers à leur sort, mais plutôt de former autrement.
De la tension à l’attention
Aujourd’hui, la plupart des programmes de formation se concentrent sur l’acquisition d’un « savoir-faire » de manager. On enveloppe la démarche dans le cadre d’un escape game, en « mode participatif », mais le but ne change pas : acquérir un certain nombre de recettes qui, paraît-il, seraient applicables sur tous les terrains. La déception ne se fait pas attendre, tant pour celui qui suit la formation que pour celui qui la finance.
L’erreur consiste à tout miser sur le savoir-faire alors que la clé du management d’aujourd’hui réside en grande partie dans le savoir-être. Or le savoir-être ne « s’apprend » pas comme une leçon ou une recette, il se ressent, se construit peu à peu, puis s’applique au quotidien. Il passe par une meilleure compréhension des attentes et du rôle de chacun, par une capacité de remise en question personnelle. Il s’agit dès lors de passer de la tension – si souvent pointée du doigt par les collaborateurs – à l’attention, notion décisive pour instaurer un mode de management au service de la performance collective. Ce « care », déterminant aussi bien dans le rapport avec le client que dans l’animation d’équipe, est une affaire de cœur, pas de « recettes ». Pour autant, il ne consiste pas à écouter les plaintes ou les griefs de chacun, plutôt à identifier les forces et les talents, à créer les conditions de l’engagement des équipes.
C’est pourquoi, aujourd’hui, la formation des managers doit se concevoir avant tout comme une dynamique collective et horizontale, en opposition à une logique personnelle (centrée sur la carrière de chacun) et « top-down ». Elle est l’occasion de faire émerger du sens et de la cohésion pour l’ensemble des managers, en approfondissant plusieurs règles d’or : édifier une véritable tribu (avec des liens solides, des us et coutumes qui dépassent le simple échange d’e-mails quotidien ou les moments de reporting), par exemple, ou encore développer le pouvoir d’agir des collaborateurs, donner du sens à leur travail, apprendre à témoigner de la reconnaissance… Autant de dimensions qui visent un même but : décupler l’implication, la vraie, celle qui crée, sur le moyen et le long terme, de la valeur pour tous.
Du manager au leader
Ce passage du « savoir-faire » au « savoir-être », souvent mis en œuvre dans la relation client, mais plus rarement au sein des équipes, va de pair avec une redéfinition du rôle de manager, qui devient un leader. Le manager est positionné comme tel par l’organisation de l’entreprise, c’est une émanation naturelle de l’organigramme. Le leader, lui, tient sa légitimité des autres, de ceux qui travaillent avec lui chaque jour et lui reconnaissent ce titre.
Une anecdote nous semble illustrer parfaitement ce basculement. En mai 1968, les étudiants révoltés se dirigent vers le Plaza Athénée, symbole, selon eux, du luxe qu’ils combattent. Une « surprise » les y attend : les 500 employés du palace se sont organisés pour leur bloquer l’entrée. Pourquoi ? Quelques mois plus tôt, le directeur de l’hôtel avait visité la cantine et avait découvert que les équipes de direction déjeunaient dans une pièce alors que les autres collaborateurs mangeaient, plus loin, derrière un mur. Il avait alors demandé qu’on lui amène une masse pour abattre ce mur. Le symbole illustrait parfaitement sa vision du travail en équipe, et a fait de lui un leader reconnu plutôt qu’un manager imposé.
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