Il faut recruter les dirigeants pour ce qu’ils pourront faire, pas pour ce qu’ils ont déjà fait

Les entreprises doivent changer la manière dont elles évaluent les candidats pour les postes de direction.

Cinquante ans après sa publication, « Le principe de Peter » n’a pas pris une ride. « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité », affirmait ainsi son auteur, le pédagogue Laurence J. Peter. Selon sa théorie, les plus compétents sont promus jusqu’à atteindre une position qui dépasse leur niveau de compétences, ce qui met un terme à leur évolution.

Malheureusement, les études académiques montrent que les promotions sont en grande partie des récompenses accordées en vertu de performances passées et que les entreprises continuent de croire que ce qui a permis à un individu de réussir jusqu’alors garantit sa réussite future, et ce même si ses responsabilités changent. Cela explique peut-être pourquoi il y a encore autant de dirigeants incompétents.

Les entreprises qui souhaitent sélectionner les meilleurs candidats pour des postes de direction seraient donc bien inspirées de changer la manière dont elles les évaluent. La prochaine fois que vous aurez un tel poste à pourvoir, posez-vous trois questions :

1. Les compétences du candidat font-elles de lui un contributeur très performant ou un dirigeant efficace ?

Le niveau de performance des contributeurs individuels est déterminé en grande partie par leurs capacités, leur sympathie et leur dynamisme. En revanche, le leadership requiert un éventail plus large de traits de caractère, dont un niveau élevé d’intégrité et un faible niveau de narcissisme et de psychopathie, sources de comportements indésirables.

Ces différences expliquent pourquoi les grands athlètes font en général de piètres coachs (et inversement) et pourquoi les individus les plus performants font souvent de mauvais leaders.

Nous savons tous que les vendeurs, les développeurs de logiciels et les courtiers en Bourse qui réussissent le mieux maîtrisent certaines compétences techniques à la perfection, connaissent leur domaine sur le bout des doigts, sont disciplinés et capables de se gérer tout seuls. Mais ces mêmes compétences permettent-elles de faire en sorte qu’un groupe d’individus mettent de côté leurs objectifs personnels pour coopérer efficacement au sein d’une équipe ? Probablement pas. Certes, les dirigeants ont besoin d’avoir un certain niveau de compétences techniques pour asseoir leur crédibilité, mais s’ils sont dotés d’une trop grande expertise dans un domaine donné, cela peut en fait se révéler handicapant. En effet, les experts sont souvent desservis par leurs idées arrêtées et l’étroitesse de leur point de vue, qui découlent de leurs années d’expérience. Les grands leaders sont, eux, capables d’ouverture d’esprit et d’adaptation, et ce, quel que soit leur nombre d’années d’expérience. Ils réussissent dans leur fonction parce qu’ils sont sans arrêt en train d’apprendre (lire aussi l’article : « Apprendre à apprendre »).

Cela a été prouvé dans nombre de situations, y compris dans la vente. Une étude universitaire menée auprès de 200 entreprises a ainsi montré que la performance d’un vendeur était négativement corrélée à sa performance en tant que responsable commercial. Si vous promouvez votre meilleur vendeur à un poste de management, vous aurez donc deux problèmes : vous aurez perdu votre meilleur vendeur et gagné un manager médiocre.

2. Puis-je vraiment me fier aux évaluations individuelles de la performance d’un candidat ?

La mesure de la performance individuelle est le plus souvent laissée à l’appréciation subjective du n+1, par nature biaisée, soumise à des jeux de politique interne et à la capacité du salarié à « manager » son propre supérieur hiérarchique. Même si le management de la performance par les pairs et par le réseau se développe, ce n’est que le début. L’évaluation de la performance peut donc être sujette à caution.

Cela explique sans doute pourquoi, à performances identiques, les femmes sont moins promues que les hommes. En effet, beaucoup d’entreprises nomment à des postes de direction des individus qui « font bonne impression », quand bien même leurs réelles contributions sont minimes.

Si vous vous posez la question ci-dessus et que la réponse est « non », prenez le temps de réfléchir à ce qui fait un bon dirigeant dans votre entreprise. Est-ce un leader en mesure de produire des résultats conséquents ? De rassembler ? D’écouter et d’aider les autres à grandir ? Ou cherchez-vous des leaders capables de créer du lien, d’innover et d’aider l’entreprise à se transformer ? Les besoins d’une société peuvent varier selon les moments et ce n’est pas parce qu’un individu est performant dans ses fonctions qu’il vous permettra d’atteindre vos objectifs immédiats.

3. Est-ce que je regarde droit devant ou dans le rétroviseur ?

Le secret pour sélectionner les bons leaders est de ne pas récompenser les faits passés, mais d’anticiper l’avenir. Chaque entreprise est alors confrontée au même problème : comment identifier les individus les plus à même de guider vos équipes dans un contexte de complexité, d’incertitude et de changements croissants ? De tels individus peuvent avoir un profil très différent de ceux qui ont réussi dans le passé, voire de ceux qui réussissent aujourd’hui.

Pour commencer, évitez de promouvoir un salarié seulement sur la base de son adéquation à la culture d’entreprise. Aussi bonnes que soient vos intentions, vous risquez d’encourager ainsi la pensée unique et des modèles de leadership dépassés. Dans un monde qui change constamment, on attend des entreprises qu’elles croissent aussi vite que les technologies et qu’elles se transforment sans cesse. Ce qui a fonctionné par le passé et ce qui fonctionne à présent ne fonctionnera peut-être pas à l’avenir. Les entreprises doivent donc s’habituer à sortir des sentiers battus, ce qui implique de promouvoir à des rôles de direction des « inadaptés » ou des individus « qui pensent différemment », et de les soutenir en leur laissant le temps de faire leurs preuves. C’est l’une des manières d’élargir votre vivier de candidats à ce type de poste.

Vous devriez également considérer ceux qui ne sont « peut-être pas prêts » et les évaluer en fonction de leurs ambitions, de leur réputation et de leur niveau d’implication dans l’entreprise. Souvent, ceux qui sont les plus jeunes, les plus agiles et qui ont le plus confiance en eux deviennent de très bons leaders, même s’ils n’ont pas encore vraiment fait leurs preuves. Mark Zuckerberg, l’un des P-DG ayant le mieux réussi ces dernières décennies, n’avait presque pas d’expérience des affaires lorsqu’il a lancé Facebook. Steve Jobs n’avait jamais dirigé de grande entreprise avant Apple, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir une compréhension fine des enjeux, les connexions et la détermination nécessaires pour en faire une marque omniprésente.

Il est temps de redéfinir ce qu’est le leadership. En ne vous limitant pas à promouvoir vos collaborateurs les plus compétents, mais aussi ceux qui sont le plus à même de vous emmener là où vous voulez aller, votre entreprise prospérera. En d’autres termes, il est temps de prendre en considération vos salariés à fort potentiel et pas seulement ceux qui sont les plus performants.

Faut-il vraiment retenir les talents ?

Il est temps pour les entreprises de cesser de considérer qu’elles « possèdent » leurs collaborateurs.

Retenir les talents est un des mantras actuels des ressources humaines dans le contexte de pénurie de certains profils. Quand j’entends ou quand je lis cette expression, j’imagine aussitôt un manager et un responsable RH tenant chacun fermement le bras d’un salarié pour l’empêcher d’atteindre la porte de sortie de l’entreprise, tout en lui exposant la liste des bonnes raisons pour qu’il reste. Ces raisons, la littérature managériale et les réseaux sociaux en sont pleins. Qualité de vie en entreprise au télétravail, bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, politiques sociales très généreuses de certains groupes… Autant de choses qui, d’après mon expérience de DRH, n’ont jamais retenu des gens qui veulent vraiment partir, d’autant que ces politiques de rétention sont collectives quand la motivation du départ est individuelle.

Les talents ne veulent plus être retenus

Plutôt que de mettre en place des incitations dont le retour sur investissement est incertain, les entreprises doivent intégrer dans leurs politiques RH une tendance de fond : les talents des pays occidentaux veulent de moins en moins être retenus, et ce principalement pour deux raisons.

L’évolution du rapport des salariés au travail, et pas seulement chez les millennials (qui  sont néanmoins 22% à souhaiter changer plusieurs fois d’entreprise au cours de leur vie selon une étude Viavoice-Manpowergroup). Beaucoup, tout en préférant le salariat, ne se projettent pas durablement au sein d’une entreprise, souvent par souci de variété des expériences ou pour donner un sens nouveau à leur parcours professionnel. Au cours de mes missions, je rencontre de plus en plus de candidats qui, entre 30 et 40 ans, ont travaillé en CDI dans plus de trois à cinq entreprises, et non pas par « instabilité » comme cela aurait été dit il y a encore quelques années, ou suite à des restructurations, mais bien par choix. Ce comportement de « collaborateur-abeille », qui butine d’une entreprise à l’autre pour faire son miel, est de plus en plus fréquent, du moins dans les bassins d’emplois riches en postes.

Le rejet des contraintes inhérentes à toute organisation collective du travail, même non traditionnelle, fût-ce au prix de l’insécurité matérielle. Ce rejet favorise le développement des modes alternatifs d’emploi. Dans sa récente étude sur les travailleurs indépendants, Josh Bersin note qu’ »en Europe, les free-lances représentent le segment du marché de l’emploi qui croît le plus vite ; leur nombre a doublé entre 2000 et 2014. » J’ai pu constater que, parmi les talents les plus convoités actuellement (data analysts, data scientists, etc.), ceux qui ont choisi de travailler en free-lance ne sont souvent pas intéressés par un CDI, mais feront volontiers plusieurs missions pour le même client si la première les a satisfaits.

De la gestion des talents à la gestion des flux de talents

Face à ces évolutions, il est temps pour les entreprises de cesser de considérer qu’elles « possèdent » leurs talents et doivent tout faire pour les garder. Julian Cook, fondateur et CEO de la start-up Howamigoing, explique ainsi : « Mon rôle, en tant que P-DG, n’est pas de retenir mes collaborateurs mais de faire en sorte que, quand ils partent, ils apportent plus de valeur ajoutée au monde que quand ils sont arrivés. » L’entreprise doit donc organiser ce qu’elle ne peut empêcher. Autrement dit, elle doit intégrer la politique de gestion des talents, internes et externes, dans une politique de gestion des flux de talents (entrées, sorties et retours). Car un collaborateur qui part et revient en apportant une nouvelle expérience enrichit l’entreprise, de même qu’un indépendant performant qui travaille avec d’autres sociétés. Encore faut-il les solliciter. Cela permet par ailleurs de compenser le coût des départs en évitant de nouveaux coûts de recrutement et d’intégration (lire aussi l’article : « Mettre à profit les entretiens de départ »).

Organiser les flux de « collaborateurs-abeilles » peut passer par :
– un partage de ressources avec un écosystème d’autres entreprises non concurrentes, avec une bourse d’emplois et une base de données communes regroupant des informations sur l’expérience professionnelle, la performance, les compétences et les souhaits d’évolution des collaborateurs, afin d’en maintenir une connaissance approfondie ;
– l’entretien de leur lien avec l’entreprise, en mettant en place une vraie gestion des alumni, à l’instar des grandes écoles ou des grands cabinets de conseil (newsletters, clubs, événements, etc.), mais en allant plus loin quant aux informations qui leur sont communiquées et la capacité à les mobiliser, eux et leur réseau ;
– la facilitation du passage de salarié à free-lance pour ceux que l’aventure tente, avec un contrat répondant aux intérêts des deux parties (par le biais, par exemple, d’un statut de client privilégié pour l’entreprise et d’un pourcentage de temps de travail garanti pour l’ex-collaborateur).

En ce qui concerne les talents externes, il s’agit de piloter plutôt que de subir le recours à ce type de profil. Gérés la plupart du temps par les services achats (pour les intérimaires présentés par des agences) ou par les managers (pour les free-lances recrutés par réseau ou via des plateformes), ils sont généralement exclus des politiques RH. Pour réduire le temps passé à pourvoir les postes ou les missions et optimiser l’apport des talents externes, les DRH doivent considérer ces ressources non plus comme une solution temporaire, mais comme des collaborateurs intermittents dans la durée (lire aussi la chronique : « Nouvelles formes de travail : un défi pour le management »). Cela implique :
– de bien les connaître, donc de disposer des mêmes informations que pour les salariés (expérience professionnelle, compétences, types de missions souhaitées, performance – avec le feed-back des managers ou, pour ceux qui travaillent en équipes projets, des chefs de projet ou de certains pairs) ;
– de constituer un vivier de free-lances pour chaque poste ou mission, mais aussi pour les postes non sous-traités qui pourraient l’être, de manière temporaire ou à long terme ;
– de développer l’expérience partenaire autant que l’expérience collaborateur, afin d’être le client privilégié des free-lances, notamment en leur donnant une visibilité à moyen terme sur les besoins de l’entreprise, en les incluant dans les communautés d’experts ou en les recommandant aux entreprises de son écosystème ;
– de favoriser, en cas d’intérêt commun pour cette expérience, le passage de free-lance à salarié.

Les entreprises ont beaucoup à gagner à fluidifier la gestion des talents en anticipant dès le recrutement les sorties potentielles (qu’il faut envisager dès deux à trois ans d’ancienneté dans les métiers sensibles), en organisant les évolutions externes au sein de leur écosystème et en créant des ponts entre les ressources « permanentes » et temporaires : un champ de sourcing élargi, la minimisation du temps de vacance des postes et une image employeur attractive qui les différencie de leurs concurrents.

Pourquoi le travail passera, dans le futur, par de nouvelles formes de gouvernance

L’univers du travail est en pleine mutation. Certains modèles, comme l’holacratie et la sociocratie, ont déjà posé d’importants jalons.

Quel est le point commun entre Auguste Comte, les gilets jaunes et Michelin ? Un goût prononcé pour les nouvelles formes de gouvernance : plus partagées, plus souples et plus inclusives. Et pour cause, bien plus qu’une mode ou un débat d’expert, il semble bien que ces nouvelles façons de s’organiser constituent une lame de fond à laquelle il sera difficile d’échapper. Horizontalité, démocratie directe, sociocratie ou holacratie sont les multiples visages d’une même révolution. Aujourd’hui, plus grand monde ne semble douter du bien fondé de ces transformations. Alors que les entreprises ont gagné en taille et en complexité, jusqu’à devenir pour certaines des colosses de dizaines de milliers d’employés présentes sur tous les continents et aux activités innombrables, il est devenu évident que le modèle orthodoxe, avec gouvernance pyramidale et verticale, séparation des fonctions support et exécutive, ne permet plus d’être suffisamment réactif, souple et proche du terrain.

Comment alors être capable de fournir à ces entreprises, mais plus largement à n’importe quel groupe de personnes quelle que soit leur taille, depuis la famille jusqu’au pays, les promesses d’une adaptation renouvelée à leur environnement et au monde foisonnant et imprévisible qui les entoure ? Comment faire en sorte que les salariés, ou toute partie prenante, soient impliqués et se retrouvent en adéquation avec le projet porté par le groupe (alors même que 85% des employés dans le monde se disent désengagés par rapport à leur travail, selon l’institut de sondage Gallup).

Les réflexions sur le sujet ne sont pas nouvelles et remontent pour certaines aussi loin que le début du 20e siècle. Le philosophe Auguste Comte fut le premier à employer le terme « sociocratie » en 1851 dans ses ouvrages. A l’exception de quelques pionniers, il a ensuite fallu attendre que le taylorisme et l’organisation traditionnelle et hiérarchique du management atteigne ses limites pour que le besoin d’imaginer et d’appliquer de nouvelles formes d’organisation s’impose à tous.

Pour bien comprendre les origines de ces nouvelles formes de gouvernance, il faut remonter au milieu du 20e siècle et à l’émergence de la pensée « systémique ». Portée aussi bien par des biologistes, des psychiatres ou des sociologues, elle est peut-être la révolution originelle. L’idée ? Se défaire de la vision cartésienne, alors hégémonique, qui consiste à appréhender une organisation en étudiant séparément tous les éléments qui la composent. Insuffisante pour de nombreux intellectuels qui voient dans le groupe une entité distincte, soumise à ses propres règles et ses propres logiques. Une entité qui ne saurait en aucun cas être réduite à une pure addition d’éléments.

Faire confiance à la liberté

C’est véritablement dans les années 1970 que cette pensée trouve sa première traduction dans le management moderne, notamment avec les travaux de l’ingénieur néerlandais Gerard Endenburg. Reprenant le business familial d’électrotechnique, il planche rapidement à l’élaboration d’une nouvelle forme de gouvernance qui mettrait fin aux principaux défauts qu’il constate dans ses équipes : compétition et guerre d’ego. En s’inspirant notamment des travaux de Kees Boeke, un éducateur réformiste, de la cybernétique ou d’Ilya Prigogine (prix Nobel de chimie en 1977) sur les mécanismes d’auto organisation des êtres vivants, il devient le père fondateur de la sociocratie moderne. Son coup de génie ? Faire confiance à la liberté, l’autonomie et la coresponsabilisation des acteurs. Parier sur l’intelligence collective qui caractérise à ses yeux le vivant. Concrètement, sa méthodologie repose sur 4 règles d’or :

– La prise de décision par consentement est certainement le cœur battant de cette nouvelle façon de penser la gouvernance. Aucune décision ne peut être prise tant que des objections ou des réticences existent. A coup de discussions et d’échanges, le groupe doit travailler ensemble à construire un consensus. Ce principe est fondateur mais pas absolu, le consentement peut aussi permettre au groupe d’opter ponctuellement pour un autre mode de gouvernance, si aucune objection ne l’empêche.

– Le cercle: il est pensé comme la structure de décision. Les activités de l’entreprise sont divisées en unités de travail, dont chacune correspond à un rôle. Chaque employé se voit attribuer plusieurs de ces rôles, selon ses compétences, son expertise et sa charge de travail. Enfin, les rôles aux tâches similaires sont regroupés en cercles – qui correspondent parfois à des équipes traditionnelles : marketing, comptabilité, etc.
Chaque cercle fonctionne comme une entité autonome, à la fois comme un tout et comme une partie d’un tout (c’est le sens étymologique de holos, tandis que kratos signifie pouvoir). La coordination de ces entités nécessite donc l’existence de règles de fonctionnement suffisamment efficaces pour prévenir toute friction. C’est tout le principe de l’holacratie : établir un cadre précis dans lequel toute la créativité des salariés peut s’exprimer librement.
Cette agrégation est soumise à une condition essentielle : la certitude que toutes ces équipes travaillent ensemble pour atteindre un but commun. En holacratie, la définition, l’adoption et l’intégration de la vision stratégique à long terme d’une entreprise est une responsabilité pour tous les membres de l’entreprise. Ce n’est plus le privilège d’un couple de gestionnaires.

– C’est la méthode du double lien qui permet d’assurer l’interconnexion équitable entre les cercles et les différents niveaux de structure de décision. Chaque cercle reste en effet connecté au cercle supérieur grâce à deux personnes, l’une élue par le cercle inférieur pour le représenter, l’autre désignée par le cercle supérieur. Ces deux personnes font partie intégrante des deux cercles et participent à ce titre au processus de décision de chacun.

– Dernier principe et pas des moindres : lélection sans candidat. Lorsqu’il faut choisir quelqu’un pour un poste, plutôt que de voter pour un candidat, pourquoi ne pas en discuter ouvertement, en l’absence de tout candidat, et nommer de manière collective et consensuelle la personne qui semble la mieux placée.

Plus qu’une formule magique, on comprend bien que la sociocratie est avant tout une méthode, et qu’elle peut, à ce titre, être déployée dans tous types de structures. Elle a du reste bousculé le management moderne en ambitionnant de réconcilier décision et exécution, de raccourcir au maximum la chaîne de décision et de remettre l’employé au cœur de son activité.

Une déconstruction du leadership

Apparue dans les années 2000, l’holacratie est, en quelque sorte, la petite sœur de la sociocratie et repose sur des principes similaires (prise de décision par consentement, cercle, double lien et élection sans candidat). On doit la notion à l’entrepreneur Brian Robertson qui, au moment de lancer son entreprise (Ternary Software) en 2001, réfléchit à la meilleure manière de l’organiser. L’apport principal réside peut-être dans l’idée de découper les activités de l’entreprise en différents cercles – eux-même constitués de rôles – redevables entre eux et contribuant avec un maximum d’autonomie à la raison d’être de l’organisation. Dès lors le salarié peut occuper plusieurs rôles, selon ses compétences, ses envies ou simplement son temps libre. On retrouve ici l’influence du flexwork et de l’agile qui imprègnent considérablement la pensée holocratique. Ici encore, le résultat est une déconstruction du leadership pour le distribuer à toutes les parties prenantes, bref, l’horizontaliser. Brian Robertson a été jusqu’à publier une constitution de l’holacratie en 2011, lui valant quelques critiques chez les sociocrates pur jus.

Mais alors, holacratie et sociocratie sont-elles vraiment la révolution attendue ? En tous cas des entreprises de toute taille et de tout secteur commencent à se laisser séduire, expérimentent dans certaines divisions ou mettent en œuvre, à l’image d’Engie, de Renault, de BOL.com (l’Amazon néerlandais) ou encore de la banque russe Tochka. Mais l’exemple le plus emblématique demeure certainement Zappos, mastodonte de la vente de chaussures en ligne. Le patron Tony Hsieh a fait le pari de l’holacratie : la hiérarchie y été mise au placard en 2015, laissant la place à des centaines de cercles de décision, mais aussi au départ de 30% des employés, dont pas mal de cadres, qui ne se retrouvaient pas vraiment dans ces nouvelles méthodes. Et pour de bon ? Hélas non, l’entreprise a finalement adapté la méthode l’année dernière tout en gardant, a priori, les principes fondateurs.

Depuis que les termes sont à la mode, que des groupes et des entreprises tentent l’aventure, le rêve de révolution a aussi laissé place à de nombreuses critiques. D’aucuns reprochent à l’holacratie de seulement remplacer une bureaucratie par un système si rigide qu’il en devient une nouvelle forme de bureaucratie après un temps. L’insécurité dans laquelle ces nouvelles méthodes peuvent plonger les salariés est aussi critiquée.

Réconcilier enfin croissance et bien commun

Le temps semble à l’adaptation pragmatique des méthodologies au contexte et à la maturité des organisations ; une montée en puissance des principes forts de la distribution de l’autorité et de la responsabilité, en ligne avec la raison d’être, sans l’orthodoxie quasi religieuse de la méthodologie et de sa constitution. Quoi qu’il en soit, sociocratie comme holacratie, quel que soit leur avenir proche, ont assurément posé des jalons importants vers ce que sera l’entreprise de demain. Les formes de gouvernance et d’organisation, en profondes mutations, ne font que commencer leur mue.

Le futur du travail cherchera donc probablement à réconcilier croissance et bien commun, engagement des collaborateurs et expression d’une puissante intelligence collective. Ceci dans des hiérarchies plus plates, à l’autorité largement distribuée et aux processus de prise de décision réinventés ; des hiérarchies de cercles (ex : marketing, développement produit), eux-mêmes constitués de rôles (ex : responsable produit, développeur mobile), animés par des talents potentiellement variés. Des organisations d’une efficacité inédite sont ainsi amenées à disrupter positivement des modèles économiques aujourd’hui souvent dépourvus de sens social, sociétal ou environnemental. D’après une étude de l’ISEOR (Institut de socio-économie des entreprises et des organisations fondé par Henri Savall, professeur émérite à l’université Lyon III Jean Moulin), le désengagement des salariés coûte selon les types et les tailles de structure entre 20 000 et 70 000 euros par an et par salarié.

Yan Laurent, le directeur général du Novotel Paris Cœur d’Orly, a fait le choix d’un management disruptif pour gérer les 163 chambres de l’hôtel, après avoir vécu 20 années de frustrations et de conflits dans différents établissements. L’holarchie (hiérarchie de cercles) mise en place a permis de redéfinir les rôles et de passer de 7 à 12 strates hiérarchiques dans un hôtel classique à 3 au Novotel Cœur d’Orly. La description collective des rôles a permis de redéfinir la fonctionnalité des postes : suppression, par exemple, des postes de chef-cuisinier ou chef-réceptionniste et apparition des rôles d’expert en organisation et optimisation de l’hôtel, d’agitateur de papilles (en cuisine), de préparateur de sommeil (anciennement femme ou homme de chambre) ou divergent… Le divergent étant une personne qui n’appartient à aucun métier spécifiquement hôtelier. Et les performances sont au rendez-vous : « En 2018, nous avons fait presque un million d’euros de plus que le budget prévu, sur un hôtel de 163 chambres, ce qui est exceptionnel », observe Yan Laurent, le directeur de l’hôtel.

« Avant j’appliquais des consignes, maintenant je cherche des solutions »

Même si son organisation ne s’appuie pas précisément sur une théorie telle que l’holacratie ou la sociocratie, Pascal Demurger, directeur général de la Maif, exprime clairement dans son dernier livre, « L’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus », le fait que « le management par la confiance ne permet pas seulement de créer une dynamique dans l’entreprise, il augmente aussi l’intelligence collective. Faire confiance, c’est accepter de lâcher prise, de déléguer, de faire jouer un principe de subsidiarité pour que les décisions soient prises au niveau le plus décentralisé possible. Considérer que la hiérarchie a le monopole de la décision pertinente est une source majeure d’inefficience. » Un gestionnaire de la Maif le confirme et se félicite de pouvoir échapper aux scripts traditionnels que l’on trouve chez les concurrents de l’assurance : « Avant j’appliquais des consignes, maintenant je cherche des solutions ». Résultat, la Maif affiche un taux d’attrition près de sept fois inférieur à la concurrence.

La puissance collective des entreprises de nouvelle génération a vocation à s’exprimer bien au-delà de ses seuls salariés, en entraînant dans son projet tout un écosystème de contributeurs spécifiques, freelance, partenaires, ambassadeurs de la marque. Reste à anticiper la question de la fracture des talents, dans un monde du travail qui s’annonce très adapté aux profils autonomes et entrepreneuriaux, peut-être moins aux autres.

A quoi sert la « raison d’être » dans les entreprises ?

Les entreprises peuvent désormais intégrer dans leurs statuts « une raison d’être ». Mais pour que celle-ci ne devienne pas une coquille vide, elle doit s’inscrire dans un véritable cadre stratégique.

Dans leur rapport rendu au gouvernement en préparation de la loi PACTE, Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, ont proposé de modifier l’article 1835 du Code civil. La proposition a été retenue et les entrepreneurs qui le souhaitent peuvent modifier depuis mai 2019 les statuts de leur entreprise pour inscrire une raison d’être « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Le vote de la loi PACTE a ainsi entraîné dans son sillage de nombreuses initiatives de la part de dirigeants (Thierry Breton, P-DG d’ Atos, Alexandre Bompard, P-DG de Carrefour, Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole…). Face à cet engouement, le risque majeur est que cette innovation juridique génère très rapidement des déceptions et conduise à des impasses si elle ne sert pas de clé de voûte à un véritable projet stratégique.

La raison d’être désigne une ambition d’intérêt général qu’entendent poursuivre les dirigeants. C’est le cas par exemple de l’entreprise agroalimentaire familiale Nutriset qui se donne pour objectif « d’apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition/malnutrition des enfants ». Le groupe de distribution Carrefour a quand lui décidé d’inscrire l’enjeu de la « transition alimentaire pour tous » dans ses statuts. A travers les raisons d’être qu’elles choisissent, les entreprises se positionnent sur des questions d’intérêt général ou des enjeux qui vont au-delà de la recherche du profit à court terme. La notion de lucrativité ne disparaît pas, mais l’entreprise se donne pour objectif d’associer résultats économiques et missions d’intérêt général. Missions qui vont se matérialiser par la formalisation et la prise en compte d’objectifs sociaux et environnementaux : diminution de l’empreinte écologique, amélioration des conditions de travail, revitalisation d’un territoire, etc.

Des risques d’instrumentalisation

Les initiatives récentes des dirigeants en matière de raison d’être se font souvent à grand renfort de plans médias destinés à convaincre leur audience qu’un nouveau chapitre s’ouvre dans l’histoire de leurs entreprises. Si l’inscription d’une raison d’être dans les statuts n’est motivée que par le souhait de combler un déficit de visibilité ou de légitimité, il est probable que cela se retourne contre l’entreprise et ses dirigeants. Le risque : passer très rapidement de l’enthousiasme à la déception et que l’entreprise concernée perde sa crédibilité. Les raisons d’être trop rapidement déterminées ou mal formulées risquent de placer les entreprises dans une impasse. Le sursaut de légitimité s’abimera dans un exercice de reformulation et de rétropédalage ou il faudra expliquer aux actionnaires et aux parties prenantes que l’on s’est initialement trompé dans la formulation de ce qui constitue l’ADN de l’entreprise.

Si elle peut être instrumentalisée à des fins de communication, la raison d’être est également présentée par certains comme une solution miracle à toutes les problématiques de l’entreprise. Elle s’apparente à une véritable baguette magique qui lui permettrait de renforcer sa marque employeur, d’amadouer les actionnaires, de générer de nouveaux débouchés commerciaux ou encore de mieux collaborer avec les parties prenantes. Pourtant, comment quelques lignes supplémentaires dans les statuts d’une société commerciale pourraient produire autant d’effets ? Là encore, la déception et l’effet boomerang pourraient rapidement se retourner contre les dirigeants qui n’auront pas pris soin de se doter des outils et des moyens opérationnels nécessaires. Si elle ne sert pas à nourrir le projet stratégique, la raison d’être peut vite se transformer en gadget managérial qui promet plus qu’il ne délivre.

Une formulation essentielle

L’inscription d’une raison d’être n’est donc pas un acte banal car elle constitue le socle du cas d’investissement proposé aux actionnaires. Dans la mesure où elle détermine également l’identité de l’entreprise et sa contribution à l’intérêt général, il est difficile d’en modifier la formulation a posteriori. Pour qu’elle ait un sens et une portée réelle, elle doit être la clé de voûte d’un projet stratégique sur le long terme. Elle peut, le cas échéant, servir de moteur à une bifurcation d’activité en apportant des solutions à des problèmes de société. Les travaux du professeur de stratégie Todd Zenger permettent d’identifier les trois piliers susceptibles de donner de la consistance et de la matérialité à une raison d’être.

Les trois piliers de la raison d’être.

 

L’intention stratégique 

Affirmer une raison d’être implique de définir ou de redéfinir son « intention stratégique » et les objectifs poursuivis. Il ne s’agit plus seulement de revendiquer la consolidation d’un avantage concurrentiel et d’affirmer une position au sein d’un marché défini mais bien de proposer une contribution d’intérêt général au sein d’un secteur donné en fonction d’hypothèses macroéconomiques, sociologiques ou sociétales. Le P-DG de Danone Emmanuel Faber parle ainsi de souveraineté alimentaire pour décrire le rôle qu’il entend faire jouer à son groupe dans l’industrie alimentaire. A travers cette intention stratégique, il positionne son entreprise par rapport à un défi sociétal de première nécessité et propose que Danone soit désormais évalué à l’aune de sa contribution à cette objectif. Dans une logique similaire, la raison d’être de Michelin est d’ « offrir à chacun une meilleure façon d’avancer ».  L’entreprise clermontoise affirme un enjeu d’intérêt général – la mobilité – et se positionne par rapport à celui-ci.

Les actifs stratégiques

La formulation de la raison d’être ne doit pas s’arrêter à un exercice rhétorique. Elle doit être le moteur d’une mise en mouvement de l’organisation. Celle-ci passe en priorité par un inventaire des actifs stratégiques tangibles et intangibles de l’entreprise et leur mise en tension. Assurer par exemple la souveraineté alimentaire des territoires passe par une nouvelle organisation et des capacités d’action renouvelées. Les dirigeants qui n’arrimeront pas l’inscription de la raison d’être à un diagnostic interne des actifs stratégiques auront toutes les peines du monde à remplir la mission qu’ils ont fixé à leurs entreprises. Pascal Demurger, directeur général de la Maif, a d’ores et déjà entamé un travail de fond sur la culture de son entreprise, son modèle économique, son management et les futurs outils sur lesquels l’entreprise va assoir son développement au service d’une nouvelle protection, en vue d’inscrire une raison d’être dans ses statuts en 2020. Les outils de gestion basés sur l’intelligence artificielle vont dans le cas de la Maif jouer un rôle important dans la reconfiguration des pratiques métiers de l’entreprise.

La relation avec les parties prenantes

Poursuivre une mission d’intérêt général nécessite de repenser les frontières de l’entreprise et les interactions avec les différentes parties prenantes. Les entreprises ont depuis longtemps appris à considérer les attentes de ces dernières afin de sécuriser la poursuite de leurs projet économique. Inscrire une raison d’être implique de renouveler profondément les rapports entretenus avec les parties prenantes. Ce travail doit permettre de prendre la mesure des impacts de l’entreprise bien au-delà de ses frontières économiques et organisationnelles. Elle doit assumer ses externalités négatives et montrer comment elle agit pour les limiter ou les compenser. Ce travail doit également permettre d’inclure et d’exclure certaines parties prenantes, afin d’accéder à de nouvelles ressources, et d’enclencher la mise en tension de la structure et des actifs stratégiques de l’entreprise. L’inscription d’une raison d’être peut conduire, par exemple, à se séparer de certains fournisseurs en raison de leurs pratiques ou de leur utilisation de certaines matières premières, ne collant plus avec le projet de l’entreprise. Danone a par exemple lancé un projet de transformation majeur qui vise à limiter au maximum l’usage d’emballages en plastique. Cela suppose de trouver de nouveaux fournisseurs et de travailler avec des technologies nouvelles.

Les entreprises peuvent communiquer abondamment autour de l’inscription d’une raison d’être dans leur statuts afin de s’assurer d’un regain temporaire de légitimité. Mais elles peuvent aussi s’engager dans un véritable projet de transformation visant à clarifier leur projet stratégique pour qu’il réponde aux enjeux du réchauffement climatique, de l’effondrement de la biodiversité ou encore de la lutte contre les inégalités. La loi PACTE, dont l’une des ambitions est de repenser la place de l’entreprise dans la société, pourrait ainsi se retrouver instrumentalisée par des dirigeants trop pressés d’inscrire une raison d’être dans les statuts de leurs entreprises. Elle peut à l’inverse servir de support à une bifurcation du capitalisme français afin de rehausser la contribution des entreprises à l’intérêt général.

Recruter pour le poste d’après

Dans un contexte d’évolution rapide des métiers, les entreprises font face à un défi de taille : recruter par anticipation.

D’ici à 2022, les nouveaux métiers représenteront 27% de l’emploi total, selon les prévisions du World Economic Forum. Sous l’influence de la transformation numérique et de la mondialisation, les métiers évoluent aujourd’hui plus vite qu’hier. Les enjeux dans le recrutement et la gestion des talents ne sont par conséquent plus les mêmes, la véritable problématique des entreprises étant aujourd’hui de tendre vers un « recrutement d’anticipation ». Selon une étude du cabinet EY, 90% des dirigeants jugent aujourd’hui que les métiers vont devoir évoluer dans leur entreprise au cours des cinq années à venir. Mais pour 66% d’entre eux, le changement est difficile à mettre en œuvre. Et ce notamment parce que les compétences dont leur entreprise a besoin sont rares. Dans un contexte de plus en plus concurrentiel et mouvant, le défi pour les entreprises est de pouvoir s’adapter aux mutations économiques et technologiques qui impactent le marché et les métiers. Les clés : anticipation et réactivité.

Miser sur des collaborateurs à fort potentiel évolutif

Anticiper, c’est se prémunir de certains aléas. C’est notamment recruter des collaborateurs à fort potentiel évolutif pour pouvoir dépasser les éventuels freins inhérents aux changements techniques (évolution des métiers, obsolescence des compétences…) et organisationnels (holacratie, internationalisation…). Pour ce faire, il faut se poser les bonnes questions, se recentrer sur une vision à plus long terme : quelles évolutions peut-on attendre, au vu des tendances actuelles ? De quelles compétences mon entreprise aura-t-elle besoin demain pour subsister et se développer ? La vision du dirigeant et sa capacité à identifier les opportunités et les menaces à venir sont ici essentielles.

Reste qu’il est difficile d’appréhender exactement les mutations économiques et d’anticiper précisément le progrès technologique ou son rythme de déploiement. Les entreprises doivent donc réfléchir aujourd’hui quelque peu différemment. Il s’agit désormais de penser « potentiel » plutôt que « profil ». Au-delà de l’expérience, du savoir et des compétences techniques, il s’agit aussi d’identifier chez un éventuel collaborateur une capacité à développer de nouvelles compétences, à se montrer agile, innovant, collaboratif et à évoluer éventuellement sur des missions transverses ou nouvelles, inexistantes au moment du recrutement.

Il n’est, par exemple, plus envisageable de sélectionner des candidats en ne tenant compte que de leurs seuls diplômes, quand on sait que les formations initiales ne seront pas adaptées aux métiers qui verront le jour dans cinq ans et que les transformations à l’œuvre favorisent l’obsolescence des compétences techniques. Il faut pouvoir se focaliser sur des potentiels faisant preuve d’intelligence situationnelle et d’intelligence émotionnelle, qui sauront s’adapter à leurs collègues, à différents environnements et qui adhéreront à la stratégie et à la culture de l’entreprise. D’une certaine manière, le contexte actuel invite à ce changement d’approche, vertueux pour la société dans son ensemble car générateur, à terme, de plus de diversité dans le milieu professionnel.

Evaluer le potentiel des candidats grâce aux bons outils

Il existe des outils aidant à évaluer le potentiel des candidats, leurs motivations profondes, leur mode de fonctionnement et qui permettent aux dirigeants d’identifier les talents qui pourront servir leur entreprise à plus long terme. Par exemple, les questionnaires dits de « comportements professionnels » permettent de détecter les aptitudes comportementales d’une personne pour un poste donné mais aussi d’identifier ses forces, ses faiblesses, ses axes de développement de manière plus globale, au cours de sa carrière. Les tests de raisonnement, au-delà de mesurer l’efficacité intellectuelle d’une personne pour un poste, permettent de comprendre de quelle manière celle-ci peut s’adapter à un nouvel environnement (flexibilité, adaptabilité, esprit critique et analytique…). Les mises en situation sont également pertinentes pour déterminer la capacité d’innovation d’un individu, son aptitude à prendre des initiatives ou à résoudre des problèmes complexes, et pour faire émerger le leadership et l’influence sociale des candidats.

Enfin, certaines solutions d’intelligence artificielle permettent d’évaluer les soft skills des candidats – qui éclairent notamment sur le rapport qu’un individu entretient avec les autres – à travers des questionnaires de personnalité de type « Big 5 ». Cependant, le recrutement ne s’arrêtant pas à la signature du contrat, il faut pouvoir également s’assurer que les valeurs de l’entreprise et du potentiel collaborateur se rencontrent. Les outils dits de « culture fit » permettent ainsi de tester, de valider ou au contraire d’invalider l’adéquation entre la proposition de l’employeur (la marque employeur) et les attentes et les aspirations du candidat. Malheureusement à l’heure actuelle, trop de recrutements échouent encore faute d’avoir réellement pris en compte cet élément.

Anticiper les enjeux de la formation

Les RH sont aujourd’hui plus que jamais dans la lumière. Côté formation d’abord, l’enjeu est considérable : selon le rapport « Future of Jobs 2018 » du World Economic Forum, les salariés des entreprises françaises auront en moyenne besoin de 105 jours de perfectionnement d’ici à 2022 pour répondre à l’évolution de leur poste ou à une reconversion. Ensuite, le changement de paradigme amènera tout recruteur à envisager un nouveau collaborateur comme un « potentiel » qui pourra embrasser demain une mission très éloignée de celle qui l’avait conduit à rejoindre l’entreprise initialement. Pourquoi ne pas recruter aujourd’hui un jeune talent doté d’excellentes qualités comportementales pour un poste à dimension commerciale, en vue de le faire évoluer par la suite sur un poste stratégique en lien avec l’expérience utilisateur et la relation client, des fonctions montantes du marketing ?

Pourquoi ne pas anticiper dès aujourd’hui l’évolution de votre responsable logistique ? Plutôt que de recruter un profil rassurant par ses compétences techniques, pourquoi ne pas penser dès aujourd’hui au supply chain manager dont vous aurez besoin demain ? C’est-à-dire une personne évoluant en étroite collaboration avec les services de la production et des ventes, capable de travailler avec votre équipe informatique pour optimiser les programmes de gestion des flux, à l’heure où les cycles prévisionnels s’accélèrent ? Une telle conception des choses peut apparaître comme un challenge pour les ressources humaines, dont la réflexion doit s’orienter vers des parcours de formation intégrant plus fortement la dimension « comportementale » et le développement personnel, et vers des parcours de carrière bien plus évolutifs et transverses, en rupture avec les parcours verticaux encore largement proposés aujourd’hui.

En finir avec le culte du bonheur au travail

De plus en plus d’entreprises cherchent à promouvoir le bonheur de leurs salariés en interne. Des politiques qui peuvent pourtant s’avérer contre-productives.

« Chief happiness officers », espaces de travail design aux couleurs chatoyantes, petits-déjeuners et afterworks entre collègues ou encore espaces détente mis à disposition des équipes… Si ces initiatives visant à promouvoir le bonheur au travail ont longtemps été l’apanage d’entreprises innovantes comme Zappos ou Google, elles font désormais partie du quotidien de nombreux salariés travaillant dans des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs.

A titre d’exemple, Kiabi fait désormais la promotion d’une « Happy Culture » en interne, les laboratoires Boiron vantent les mérites de leur Chief happiness officer et la PME Chronoflex (spécialisée dans la vente et l’installation de flexibles hydrauliques pour machines de chantier) prône la « performance par le bonheur » avec la mise en place d’un management libéré (lire aussi la chronique : « L’entreprise libérée, symbole d’une gouvernance postindustrielle »).

Ces initiatives sont vantées par des gourous du management comme étant une manière d’aligner les intérêts individuels avec les intérêts collectifs en réconciliant la performance économique et la performance sociale. De fait, elles sont censées augmenter le bonheur des salariés et donc la performance de l’entreprise. Cependant, ces initiatives font-elles réellement le bonheur des salariés ?

Elles peuvent en effet être très bien accueillies par certains collaborateurs qui se disent plus détendus, plus épanouis et donc plus engagés dans leur travail qu’ils ne le seraient dans une entreprise au management plus classique. Ils ont l’impression que l’entreprise fait attention à eux, qu’ils travaillent dans de meilleures conditions et qu’ils peuvent s’exprimer librement dans un environnement qu’ils caractérisent comme bienveillant, informel, voire « fun » et amical.

Vers une nouvelle forme de contrainte

Néanmoins, il existe au moins trois cas de figure dans lesquels ces modes de management – pourtant centrés sur le « bonheur » des salariés – ne rendent pas ces derniers plus heureux. Tout d’abord, ces initiatives peuvent être vécues comme des formes de pression au quotidien par certains salariés qui ne souhaitent pas participer à des afterworks ou faire de la gym avec leurs collègues en dehors des heures de travail et qui ne veulent pas confier des éléments de leur vie personnelle à des chief happiness officers censés être responsables de leur bonheur. Ils n’ont tout simplement pas envie de prendre part au folklore quotidien mis en scène par leur entreprise, censé être « fun » et « épanouissant » mais qu’ils jugent infantilisant, artificiel, voire non professionnel.

Ces salariés – qui peuvent pourtant très bien faire leur travail par ailleurs – se sentent alors exclus car ils ne se reconnaissent pas dans cette injonction du bonheur au travail et par le travail à laquelle ils sont soumis (lire aussi l’article : « Une histoire du bonheur »). Dans certains cas, ils peuvent même être pénalisés par leur hiérarchie ou par le groupe car ils sont considérés comme rabat-joie lorsqu’ils n’adhérent pas à l’enthousiasme collectif. La culture du bonheur, qui est censée être épanouissante et bienveillante, devient alors stigmatisante.

Le risque de surinvestissement professionnel

De plus, il existe aussi des cas où, à l’inverse, les salariés s’identifient trop à cette culture du bonheur par le travail et au travail. Cela peut alors conduire à un surinvestissement qui amène certains d’entre eux à avoir du mal à décrocher de leur travail, parfois jusqu’au burnout. De fait, les salles de gym, espaces bien-être et autres infrastructures offertes par l’entreprise constituent-elles réellement des moyens de se relaxer ou seulement des occasions de travailler autrement en continuant à échanger avec ses collègues ? Ce surinvestissement peut également être d’ordre affectif car certains salariés en viennent à construire leur socialisation principalement dans la sphère professionnelle et à se sentir tellement redevables envers l’entreprise qu’ils acceptent de travailler souvent tard le soir ou le week-end.

Enfin, ces initiatives peuvent être mal vécues par les salariés quand il existe un décalage entre le discours centré sur le bonheur véhiculé dans l’entreprise et les pratiques quotidiennes de management. Nombreuses sont, hélas, les organisations qui communiquent sur leur volonté de faire le bonheur des salariés, qui mettent en place des politiques reprenant les codes de cette « happy culture », et qui organisent quelques activités ludiques pour leurs employés mais qui conservent des modes de management très traditionnels, pour ne pas dire autoritaires. Ces initiatives qui n’affectent pas le travail lui-même mais qui s’expriment seulement en périphérie de ce dernier sont alors interprétées comme autant d’injonctions paradoxales par les salariés qui provoquent l’effet inverse de celui escompté, en créant du cynisme, de la démotivation, voire de la défiance vis-à-vis de l’entreprise.

Une nécessaire réflexion sur les conditions de travail

Afin d’éviter ces écueils, qui peuvent avoir des effets négatifs autant socialement qu’économiquement, les entreprises doivent, avant de mettre en place ce type d’initiatives, mener une réelle réflexion sur le travail et les conditions dans lesquelles il s’exerce. En effet, le bonheur des salariés passe d’abord et avant tout par la possibilité de se consacrer à un métier intéressant, qui offre des perspectives et que l’on peut exercer dans de bonnes conditions ; non par un folklore ostentatoire prônant une conception normative du bonheur.

Les entreprises devraient donc moins se focaliser sur l’idée qu’elles doivent faire le bonheur de leurs salariés afin d’être performantes économiquement mais plutôt que c’est la performance qui crée le bonheur, et ce au niveau individuel et collectif. L’enjeu est alors de réfléchir sur les conditions de travail, la répartition des rôles et des responsabilités, les modes d’organisation et de management et la juste rémunération du travail. Ce n’est qu’en remettant le travail au cœur de la réflexion que les entreprises pourront être plus performantes et permettront aux salariés de s’épanouir dans leur métier, ce qui contribuera inévitablement à les rendre plus heureux.

Pour impliquer les salariés, il faut réfléchir à un nouveau modèle.

L’engagement, ou envie d’entreprendre, est une décision personnelle et volontaire qui englobe les dimensions comportementale, affective et cognitive. Elle se traduit par de l’audace, de la créativité, de l’acquisition et du partage de connaissances, et apporte loyauté et plaisir. Dans un contexte d’évolution permanente des usages, de bouleversements des marchés et de ruptures technologiques majeures, et à l’aube de l’adoption massive de l’IA, il est de la responsabilité de l’entreprise de redonner du sens au travail, d’ouvrir la porte de l’autonomie aux collaborateurs pour imaginer collectivement de nouveaux modes d’organisation et de nouvelles méthodes de travail favorables à un engagement réel, durable et réciproque. Ignorer cette démarche conduirait l’entreprise à « plomber » son efficience et sa compétitivité, mais aussi son attractivité, et fatalement se retrouver dans l’incapacité de recruter de nouveaux talents !

La crise de l’engagement est tangible. Le sujet est devenu anxiogène pour les organisations. Et pour cause : les constats chiffrés sont alarmants. Selon une étude de novembre 2017 de l’Institut Gallup, en France, seuls 6% des salariés se disent engagés (ils sont hautement impliqués et enthousiastes dans leurs fonctions et sur leur lieu de travail, ils sont sources de performance, d’innovation et font avancer l’entreprise) ; 69% affirment faire leur travail sans engagement (ils sont psychologiquement détachés de leur travail et de leur entreprise ; comme leur besoin d’engagement n’est pas satisfait, ils investissent du temps – mais pas d’énergie ni de passion – dans leur travail), quand 25% évoquent une vision négative de leur entreprise et se disent même susceptibles d’agir contre ses intérêts car ils ne sont pas seulement malheureux au travail, ils sont frustrés que leurs besoins ne soient pas satisfaits et ils véhiculent leur démotivation. Tous les jours, ces salariés sapent les accomplissements de leurs collègues engagés.

Dans une entreprise française de 1000 personnes, 60 salariés seraient donc engagés et 940 peu engagés, voire activement désengagés. Si ces 940 personnes travaillent à seulement 80% de leur potentiel, cela signifierait 188 emplois à temps plein perdus. Ce sont des hypothèses. Et pour être plus précis dans la démarche, il faudrait également estimer les coûts de turnover ou d’absentéisme.

Face à un tel constat, les DRH se questionnent : par où commencer pour lutter contre le fléau du désengagement ? Car l’apathie procrastinatrice des salariés qui ont pris la décision de partir, mais lèvent le pied en repoussant l’échéance à plus tard effraie bien plus que les départs effectifs, que l’entreprise a appris à gérer.

Mais approche-t-on seulement le problème sous l’angle adéquat ? L’objectif visé est-il bien posé au regard d’un environnement en complète mutation ? La question n’est pas nouvelle. Dès 1991, le modèle du Dr. Natalie J. Allen et du Dr. John P. Meyer, tous deux professeurs d’université, auteur et chercheurs, propose d’analyser l’engagement sous trois prismes :

– un engagement moral, dit normatif : « Mon entreprise a pris un risque, elle m’a donné ma chance alors que je n’avais aucune expérience, je lui dois ce que je suis devenu aujourd’hui. » Allant dans ce sens, un juriste en propriété intellectuelle confiait dernièrement que son premier manager l’avait fait grandir en prenant du temps pour développer ses compétences et que depuis, il s’était fait la promesse de faire de même avec les jeunes qui lui seraient confiés, dès qu’une occasion se présentait.

– un engagement émotionnel, dit affectif : « Mon entreprise est une deuxième famille, mes collègues sont un appui constant, j’ai de l’admiration pour mon manager et c’est un choix de cœur que de travailler avec eux ».

– et enfin, un engagement calculé, dit de continuation, lié aux avantages acquis dans l’entreprise : « Ma vie serait bouleversée si je démissionnais maintenant. Dans l’état actuel du marché, je ne sais pas ce que je trouverais ailleurs. Ici au moins, j’ai fait ma place, je connais les codes et je suis respecté. » Dans ce cas, l’engagement au service de la société est bien réel, mais il repose sur une émotion négative, apparentée aux peurs du salarié.

Or, selon les deux chercheurs, si les deux premiers schémas d’engagement sont vertueux, ce troisième ne génère pas de bien-être.

Question de loyauté

Mais ces schémas d’engagement, références des instruments de mesure actuels, sont-ils adaptés à nos enjeux à venir et à la psychologie sociale des nouveaux entrants sur le marché du travail ?

Ces analyses sont bâties sur une vision de l’engagement définie au siècle dernier et qui en porte les stigmates. L’engagement s’entend ici au travers de la loyauté à la direction d’entreprise et de l’alignement à la stratégie proposée. Cette stratégie est souvent peu connue des salariés. Et il arrive de plus en plus fréquemment que les comités de direction cessent de s’adonner à l’exercice auparavant classique du plan stratégique, compte-tenu des difficultés de visibilité dans un environnement extrêmement imprévisible. Ces mesures intègrent également le projet qu’aurait le salarié de quitter son entreprise à plus ou moins court terme ou encore sa parole positive vis-à-vis de son organisation. Mais pourquoi ne pourrait-on pas être engagé vis-à-vis de son employeur tout en projetant de le quitter ?

L’idée d’engagement se détache ici de celle de motivation, qui fait écho à une mise en mouvement personnelle. Le salarié peut être motivé par son activité sans pour autant ressentir un attachement à la structure qui l’emploie. Qu’il mette son expertise ou sa technicité au service d’une marque ou d’une autre, ce serait alors identique pour lui. Mais pourquoi le rôle de l’entreprise ne serait-il pas de développer les seules motivations ? Elle miserait alors sur les moteurs de chacun, et non plus le lien de gageure qui la relie à chaque collaborateur. Chaque organisation aurait ainsi pour défi de garantir l’employabilité dans un environnement bientôt peuplé d’humanoïdes apprenants qui auront eux complètement évacué cette question humaine de l’engagement.

Reconsidérer le lien

Pour faire vivre l’engagement sous un angle nouveau, revenons à l’étymologie du mot, qui en apporte déjà les premières limites. Au 12e siècle, l’engagement symbolisait l’idée de mettre en gage, de lier par un contrat. Puis, le terme a évolué en lien avec un vocabulaire militaire au travers de l’engagement au combat. S’engager, c’est alors entrer dans un espace étroit, être tenu, lié. Un engagement qui prend fin est associé à une liberté retrouvé. N’est-ce pas ce que l’on certifie lorsqu’on signe un contrat mentionnant que l’on est « libre » de tout engagement ?

L’engagement demande à être réinventé à la lumière de nos environnements en mutation. Son évolution doit suivre celle des nouvelles organisations du travail, flexibles, matricielles, ouvertes. En effet, comment l’engagement peut-il être un lien entre le collaborateur et son entreprise, si ce lien est susceptible un tant soit peu d’entraver une liberté ? Cette vision de l’attache mise en avant dans toutes les définitions de l’engagement semble délicate à maintenir dans un univers globalisé, instantané et concurrentiel, qui cherche à ouvrir davantage qu’à refermer. Comment dès lors prendre réellement le temps de la construction d’un lien aussi complexe, qui en outre doit forcément être bilatéral pour prendre son sens ?

De nombreuses initiatives vont partiellement en ce sens, pour réinventer les organisations et reconsidérer le lien qui unit les parties-prenantes du projet. Un lien qui dans son acception classique a atteint sa limite après avoir été repensé sans être pour autant réinventé. Chaque modèle, tout responsabilisant qu’il soit, trouve ses limites. Le modèle cible sera hybride, sans nul doute. Cela suppose de casser les codes, de changer de référentiel et de système de croyance. La phrase d’Einstein qui affirme qu’on ne peut résoudre un problème que depuis le niveau de conscience qui l’a créé prend ici tout son sens.

Buurtzorg, la première entreprise des Pays-Bas dans le secteur des soins, fondée en 2006, qui compte aujourd’hui 7000 collaborateurs et dont l’objectif est de répondre aux défis du vieillissement en permettant de vivre plus longtemps à son domicile, se distingue dans le paysage des soins hollandais. Son modèle favorise la transparence des indicateurs, le travail en équipe, la responsabilisation de chaque infirmière, en miroir à l’autonomie recherchée pour les patients. Le concept de symétrie des attentions prend tout son sens : pour favoriser la qualité de la relation entre le soignant et le soigné, c’est en premier lieu la relation humaine entre le salarié et l’organisation qui est travaillée. L’approche relationnelle est holistique, comme celle du soin veut l’être. Le but de chaque infirmière est de devenir inutile au patient.

Dans un autre registre, Zappos (entreprise de vente de chaussures en ligne, de 1500 salariés) propose aux nouveaux embauchés 3000 dollars s’ils décident de démissionner durant leur période d’essai. Moins de 2% des nouvelles recrues saisissent cette opportunité, et plus ce pourcentage baisse, plus Zappos augmente la somme. Un encouragement à questionner le lien qui les unit à l’entreprise.

Les anciens critères de perception de l’engagement demandent donc à être repensés, au regard des attentes des nouveaux venus sur le marché du travail, mais également en résonance avec une conjoncture très incertaine et l’arrivée de l’intelligence artificielle dans nos sphères de travail. Les éléments de mesure qui existent aujourd’hui font encore écho à un espace étriqué, dans lequel le salarié serait attaché. L’engagement devrait pouvoir rimer avec audace, imagination ou envie d’entreprendre. Car finalement ce sont les notions de plaisir et d’envie qui sont les grandes absentes de nos environnements de travail, quand bien même elles sont au cœur de la problématique.

Amazon va-t-il sonner le glas de la grande distribution?

Qu’il s’agisse de ses 29,7 milliards d’euros de bénéfice au 1er trimestre 2017 ou de son rachat de Whole Foods pour 12,3 milliards d’euros, en juin, Amazon a, ces dernières mois, provoqué une prise de conscience généralisée du secteur du commerce. Il sait désormais que pour survivre, il doit évoluer.

Même si c’était redouté, cela devait arrivé. Les grands acteurs du e-commerce (Amazon, Alibaba…) ont décidé d’investir le monde du commerce physique, en rachetant des acteurs traditionnels ou en passant des accords avec eux. Ces mouvements majeurs préfigurent un nouveau bouleversement dans ce secteur, qui ne va pas avoir d’autre choix que d’accélérer une mue à peine entamée vers ce que l’on appelle aujourd’hui le « commerce unifié ». Les « retailers » traditionnels vont devoir, à marche forcée, intégrer des services digitaux connectés sensés améliorer l’expérience des consommateurs, sous peine d’afficher prochainement des résultats décevants, voire de connaître le sort malheureux d’un Toys R Us, qui a déposé le bilan cette année. Mais cette menace est aussi pour eux une formidable opportunité.

Avec 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Amazon est devenu, en 2016, le premier distributeur non alimentaire français devant Leroy Merlin. L’entreprise a réalisé plus de ventes non alimentaires que Leclerc et Carrefour dans leurs hypermarchés. Sans pour autant avoir le moindre magasin physique ! Mais si on replace ces 8 milliards dans un contexte plus large, ils ne représentent, par exemple, que 10 % du chiffre d’affaires total des deux premiers acteurs français que sont Carrefour et Leclerc. L’immense majorité des revenus continue donc bien de se faire off line. Ce qui laisse penser que, même s’ils sont attaqués, les grands de la distribution sont encore relativement protégés. Cet état de fait est pourtant en train de prendre fin (lire aussi la chronique : « Les 3 mutations qui révolutionnent le secteur du commerce et de la distribution« ).

Demain, où irez-vous ?

Le rachat, le 16 juin dernier, par Amazon de l’enseigne de distribution alimentaire Whole Foods pour 12,2 milliards d’euros a marqué une étape, à plusieurs titres. Le géant américain acquiert une enseigne alimentaire, qui plus est spécialisée dans le bio, et fait ainsi son entrée dans la distribution physique. Quel est le rationnel ? Il est double : d’une part le magasin reste encore le lieu où la majorité des achats sont réalisés, si l’on veut croître, cela suppose donc d’intégrer des magasins ; d’autre part la logique du digital (qualité d’exécution du service irréprochable), et les nouveaux services qu’il offre, vont pouvoir s’appliquer au magasin, ce qui sera profitable pour les consommateurs.

Demain, où irez-vous en tant que consommateur ? Vers les magasins avec les meilleurs produits, aux meilleurs prix et qui vous apportent les meilleurs services. C’est exactement l’offre qu’Amazon est en train de construire et l’acquisition de Whole Foods n’est probablement que le premier mouvement du géants du e-commerce vers le magasin physique. D’autant que le e-commerçant s’y prépare depuis un moment avec, par exemple, l’ouverture début décembre 2016 de boutiques dénuées de passage en caisse (Amazon Go), ce qui est rendu possible grâce à l’utilisation de capteurs couplés à des algorithmes d’intelligence artificielle.

Une chute de 5 à 14 %

Cette tendance n’est d’ailleurs pas unique. En Chine, Alibaba est en train d’opérer des mouvements de même nature : été 2016 acquisition, pour 4,6 milliards de dollars de 20 % de Suning (une chaîne de magasins d’électronique) ; février 2017, partenariat stratégique avec Shanghai Bailian (4700 magasins). Ce qui fait dire au directeur général d’Alibaba, Daniel Zhang : « La distinction entre commerce physique et vente en ligne devient obsolète ».

Quelles sont les conséquences pour les grands de la distribution ? Ils se doivent non pas de répondre mais plus fondamentalement d’intégrer cette nouvelle donne. D’ailleurs la Bourse ne s’y est pas trompée le jour du rachat de Whole Foods. Les acteurs américains, de Walmart à SuperValu, en passant par Target ou Costco, ont perdu de 5 à 14 %.

Le magasin reste le maillon central du processus d’achat mais il doit se renouveler dans l’expérience qu’il procure. Celle-ci doit être complémentaire à celle vécue sur Internet. Si on se déplace dans un lieu, on n’attend pas la même expérience, le même service, la même information que devant son écran. Il est donc essentiel pour les grands acteurs du retail de repenser la complémentarité entre les différents canaux de contact et de vente. Cette dimension omnicanal a été très rapidement intégrée par les géants du commerce en Chine. Cela passe, entre autre, par une véritable digitalisation du point de vente pour apporter des services nouveaux attendus par les consommateurs.

Sur tous les fronts

Dans ce contexte, les acteurs traditionnels sont face à plusieurs challenges :

– Prendre conscience des enjeux : tous ne considèrent pas le digital et l’Internet des objets comme faisant désormais partie de leur coeur de business. Tant que le digital est perçu comme un « nice to have » surtout utile à communiquer pour se donner une image moderne, on passe à côté d’un changement stratégique majeur du secteur.

– Faciliter la visite en magasin physique : à la sortie des google glass, certains distributeurs ont tenté de proposer des expériences de visite connectée… Quand la réalité augmentée prendra son essor, c’est inévitablement un volet du retail connecté que les distributeurs devront considérer (lire aussi la chronique : « Comment la 3D et la réalité augmentée bouleversent la distribution« ).

– Imaginer le magasin de demain : dire qu’il n’y a pas eu d’innovations de la part des retailers ces dix dernières années serait faux. Le drive, les caisses où l’on autoscanne les produits sont des vraies nouveautés qui ont amélioré le service. Mais dans de nombreux domaines cela reste encore balbutiant. Les applications, pour les plus avancées, intègrent la carte de fidélité et le « click & collect ». Mais il faut aller beaucoup plus loin pour offrir des services avec une vraie valeur ajoutée perçue par le consommateur. Le digital ne doit pas être un gadget ou un prétexte. Demain avec la réalité virtuelle, le consommateur pourra explorer les allées d’un magasin virtuel, à l’instar des recherches menées en France actuellement par le groupe Rakuten… Avec la réalité augmentée, un individu qui est vegan ou allergique au lactose, saura d’un coup d’œil les produits alimentaires qui lui conviennent, ou comme le préfigure Amazon Go, il n’y aura plus de caisse du tout, donc plus d’attente en caisse non plus. Pour le retailer, cela signifie également imaginer un entrepôt connecté, pour en finir avec les ruptures de stock, qui irritent les clients.

– S’organiser en conséquence : quand Accor, qui dans l’hôtellerie fait à la fois face à Airbnb et Booking, a dû faire sa révolution pilotée par Sébastien Bazin, la quasi-totalité du comité de direction du groupe a changé. Toutes les sociétés n’auront sans doute pas à en passer par là, mais l’urgence des changements à conduire oblige les acteurs et leurs hommes clés à faire des mues profondes et rapides. Avec de nouvelles organisations et de nouveaux process capables d’accompagner les changements attendus. On ne peut pas attendre le même ROI d’un projet standard et d’un autre beaucoup plus innovant.

– Améliorer la personnalisation : car c’est un élément incontournable de l’écosystème IoT. De l’accueil à la promotion personnalisée, du dialogue avec le conseiller qui aura récupéré des données sur vos préférences, du rayon à l’étape d’encaissement, chacun devra vivre une expérience unique en magasin.

– Travailler sur la livraison : raccourcir les délais, géolocaliser le client en mouvement, livrer directement les produits dans le coffre de son véhicule connecté (comme le teste Amazon en Scandinavie)… Il ne faut pas oublier que la livraison et son suivi sont des éléments clés de la fidélisation client.

– Apprendre à fonctionner avec un écosystème digital. Les géants du digital savent repérer et intégrer mieux que quiconque les jeunes pousses. Les principales innovations ne sont plus issues de leur rang mais sont bien le fait de start-up, qu’ils savent ensuite acquérir et faire grandir. Les retailers vont devoir se mettre au diapason. Cela commence par traiter les start-up différemment, par exemple ne pas les faire passer par le service achat comme on le fait pour les grands groupes, c’est accepter de payer à 30 jours, et non à 90 ou à 120 jours comme pour les autres prestataires, c’est payer le bon prix en ayant bien conscience que l’innovation n’est pas gratuite… Et nous ne parlons pas d’incubateurs, d’accélérateurs ou de fonds corporate, qui sont des instruments utiles mais si souvent utilisés à des seules fins de communication et non de réel business.

En définitive, les grands gagnants seront les consommateurs qui vont voir la qualité de leur expérience client croître fortement dans les mois et les années à venir. Grâce au smart retail, ils vont en avoir plus pour le même prix. Quant aux acteurs historiques du retail, cette montée de l’intensité concurrentielle est certes une menace mais c’est pour eux aussi une chance car ceux qui sauront se transformer en profondeur auront la capacité de vendre plus de services à plus de consommateurs, les millennials en premier lieu.

La hausse du e-commerce en France se poursuit avec une croissance à deux chiffres (source Fevad).

Ce que l’intelligence artificielle va changer pour les managers

A l’avenir, le rôle de décideur n’échappera pas aux grands bouleversements de l’IA.

Nombreux sont ceux qui prédisent que l’intelligence artificielle (IA) va modifier une quantité significative d’emplois, en particulier les postes intermédiaires. Pourtant, sa maturité est très variable selon les fonctions de l’entreprise. Certaines sont d’excellentes candidates à l’IA, comme la fonction comptable qui s’appuie de plus en plus sur la « robotic process automation » (RPA) (technologie qui permet d’automatiser les tâches répétitives, NDLR). D’autres semblent à première vue plus hermétiques à cette révolution, en particulier toutes celles requérant un nombre important d’interactions humaines.

Parmi celles-ci, la fonction managériale occupe une place toute particulière. Les activités des managers peuvent facilement être cartographiées selon trois axes : la prise de décision, l’encadrement et la motivation des équipes et la définition puis l’exécution d’une vision stratégique. A priori, difficile de déléguer de telles compétences à une machine. Pourtant, la fonction managériale ne va pas être épargnée par ce bouleversement technologique.

L’IA et la prise de décision 

Dans le domaine de la prise de décision, de nombreux algorithmes voient le jour pour offrir des solutions prédictives et prescriptives. En effet, lorsqu’elle dispose de suffisamment de données, l’IA est capable de prendre des décisions permettant de fiabiliser une action, d’optimiser un mode de fonctionnement ou encore d’éviter un incident.

Dans le domaine industriel, prenons l’exemple d’un chef d’atelier devant anticiper le remplacement de certaines pièces critiques sur ses machines de production. Une IA entraînée à analyser les sons émis par ces dernières pourra ainsi signaler avec précision à quel moment il faudra remplacer telle ou telle pièce, juste avant qu’elle ne casse, rien qu’en analysant le comportement sonore des machines en fonctionnement.

Dans le domaine du marketing, et plus particulièrement du marketing digital, une IA qui aura été entraînée à associer les informations « slogan + image + profil data de l’audience + résultats de la campagne » sera capable de fournir suffisamment d’indications pour orienter la prise de décision concernant de futures campagnes publicitaires.

Dans le domaine de l’intelligence économique, l’analyse des images satellites par des algorithmes d’intelligence artificielle permet déjà d’identifier très précisément le niveau d’activité d’une zone industrielle. Par exemple, l’IA est désormais en mesure de déterminer – grâce à l’analyse d’images satellites – le niveau de production d’un constructeur automobile (voitures qui entrent et sortent d’un parking) ou d’une raffinerie pétrolière (nombre de camions y déchargeant du pétrole brut). De telles données sont très prisées par les instituts d’analyses économiques et financières et permettent ensuite à leurs clients d’orienter leurs décisions stratégiques.

A l’aune de ces éléments, il paraît clair que le potentiel de l’IA dans la prise de décision va croître de manière constante. Selon le secteur et le domaine d’activité, il pourra toutefois varier. Parfois, l’IA permettra de soutenir le processus de prise de décision et d’autres fois, elle remplacera tout bonnement le manager dans cette tâche.

L’IA et l’encadrement des équipes 

A priori, confier à un algorithme d’encadrer et de motiver les équipes paraît une idée saugrenue. Cependant, les dernières avancées dans le deep learning – cette branche de l’IA capable d’analyser et d’interpréter le langage naturel (humain), notamment grâce à des réseaux de neurones artificiels – conduisent à envisager les choses sous un autre angle.

En effet, grâce à l’analyse des microexpressions du visage, de la posture, des propos, des messages écrits, l’IA pourra bientôt être en mesure de détecter les signaux de désengagement et de démobilisation des salariés. Une solution médicale permet déjà de détecter, en à peine cinq minutes, une dépression ou un syndrome de stress post-traumatique chez un patient, en analysant, entre autres, l’amplitude du sourire, le caractère fuyant du regard, les intonations de la voix et la prononciation des voyelles (lire aussi l’article : « L’intelligence artificielle dans le monde réel »).

L’IA permet aussi de formuler des recommandations. La société Cogito a ainsi développé pour les centres d’appel un logiciel capable de détecter les signaux d’insatisfaction chez les clients grâce à l’analyse des conversations téléphoniques (ton de la voix, débit de parole, etc.) et dispense des conseils sous la forme de coaching auprès des employés du call-center.

Même si tout cela reste encore assez expérimental, les intelligences artificielles vont de plus en plus être en mesure de fournir des services liés à l’encadrement et à la motivation des équipes. Toutefois, il paraît nécessaire de vérifier l’acceptabilité de telles solutions technologiques auprès des employés qui risquent d’être quotidiennement « analysés » et « conseillés » par des algorithmes.

L’IA et l’élaboration d’une vision stratégique 

Plus on s’oriente vers des activités qui relèvent du leadership, moins l’emprise de l’IA est forte. C’est le cas de la définition et de l’exécution d’une vision stratégique. Il est ici important de distinguer deux types de visions. La première est « personnality-oriented », c’est-à-dire indissociable de la personnalité de celui qui la porte. On la retrouve chez des patrons emblématiques, tels qu’Elon Musk. Celle-ci n’est pas modélisable par un algorithme et il n’existe pas « une vision » mais « des visions » aussi multiples qu’il existe de managers-leaders différents. La deuxième est une vision orientée « résultats financiers », qui s’appuie davantage sur des critères rationnels tels que l’optimisation du chiffre d’affaires. Or, cette dernière est par nature beaucoup plus facilement modélisable et court donc le risque à terme d’être cannibalisée par l’IA.

Développer sa complémentarité avec l’IA

Les managers vont donc devoir approfondir leur complémentarité avec l’IA, apprendre à collaborer avec elle, et développer un regard critique. Ce n’est que dans de telles conditions qu’ils pourront être « augmentés » plutôt que « remplacé » par elle. Pour cela, ils devront de plus en plus s’orienter vers des activités de leader. Le développement d’une vision singulière sera un atout précieux, tout comme la capacité à encadrer et à motiver les troupes en privilégiant tout ce que l’IA ne maîtrise pas comme l’écoute attentive, l’empathie et la bienveillance (lire aussi la chronique : « IA : l’intelligence cognitive ne suffit pas »).

Ils devront aussi apprendre à collaborer avec l’IA, afin d’en tirer des bénéfices au quotidien. Ils pourront, par exemple, s’appuyer sur les analyses d’algorithmes pour asseoir leurs décisions ou consulter une intelligence artificielle pour détecter les « signaux de détresse » émis par leurs équipes. Enfin, ils devront également acquérir une vision critique sur les analyses et les conseils fournis par l’IA.

Cela implique d’importants changements dans la définition même du rôle de manager. Celui-ci devra renoncer à certaines décisions et à certaines analyses, et donc céder de son pouvoir à un algorithme. Il devra toutefois également développer tout ce qui le distingue de l’IA, à savoir une vision stratégique qui lui est propre, l’écoute attentive et la bienveillance auprès de ses collaborateurs.

Comment être certain de rater la transformation de son entreprise ?

C’est souvent lié à trois écueils récurrents.

Lorsque l’on est dirigeant, rater la transformation de son entreprise est une chose très simple. Cela passe souvent par trois syndromes relativement fréquents, dissociés les uns des autres ou, mieux, simultanés, qui ont pour effet de ralentir ou d’annihiler les processus de transformation pourtant nécessaires et souhaités.

1- Le syndrome de la tour d’ivoire : comment ne pas être au rendez-vous de la transformation

C’est probablement l’écueil le plus courant. Il résulte d’une distorsion entre la vision, ou le discours, portés par le dirigeant et la réalité de son entreprise. La tentation est grande de tenir un propos volontairement engagé, de s’adresser au corps social avec ambition, de porter une volonté réelle de changement… Mais encore faut-il donner l’exemple. Or souvent les organisations et leurs dirigeants veulent transformer sans se transformer eux-mêmes et dès lors ne remplissent pas ce devoir d’exemplarité.

Prenons, par exemple, cette injonction récurrente qui appelle à « casser les silos ». Elle s’adresse en particulier aux collaborateurs et aux différents métiers, parties prenantes de la chaîne de valeur ; elle implique que chacun joue pleinement l’interdépendance, s’extraie de sa sphère d’autonomie et se mette au service de l’autre. Cela participe bien sûr d’une recherche de réactivité, d’efficience, voire d’intelligence collective. Toutefois, combien de fois constatons-nous que ces programmes évitent soigneusement de remettre en question le fonctionnement des instances dirigeantes ? D’un côté, le comité de direction somme le collaborateur de coopérer, de développer les liens entre services, d’avoir un impact positif sur ses pairs ; de l’autre, le même comité de direction continue de reproduire les mêmes pré-carrés, les mêmes luttes d’influence, de prêcher la coopération sans la pratiquer réellement.

2- Le syndrome de la vie parallèle : comment multiplier les initiatives sans lien avec le réel

Le second écueil, qui d’une certaine manière est le corollaire du premier, consiste à développer un ensemble de lieux et d’initiatives à vocation innovante, mais en réalité décorrélés du projet véritable de l’entreprise. On ne compte plus les lab, les hubs ou autres open innovation au sein des organisations. Mais combien d’entre eux s’intègrent vraiment à l’entreprise ? Combien d’entre eux apportent durablement une plus-value véritable ou des solutions pratiques à l’entreprise ? On peut multiplier les signes et les lieux sans que rien ne prenne, n’entraîne ou ne bouge.

Trop souvent, les initiatives « bottom up » semblent se limiter à une vaste opération menée une fois tous les deux ou trois ans, où le corps social est mobilisé pour exprimer ses idées. Beaucoup d’idées, si possible ! On assiste à une ébullition de concepts, de projets, mais sans suivi et sans que cela ne débouche sur quelque chose de concret, que l’on peut constater dans le quotidien opérationnel. La boîte à idées qui a généré au départ un engouement très prometteur finit par se tarir et livrer de moins en moins de propositions. L’essoufflement est général. La vie parallèle, c’est croire que les collaborateurs peuvent se satisfaire d’une participation circonscrite avec peu d’effets visibles sur leur réalité au travail.

3- Le syndrome de l’étouffoir : comment créer une fabrique à tuer l’initiative

Il y a deux formes de KPI, l’un valorisable le Key Performance Indicateur, et un second KPI, le Killing People initiative, et c’est évidemment du côté du second qu’il faut chercher des freins aux processus de transformation. Il répond à une logique encore très marquée par le top down ; en somme, le dirigeant porte le projet de transformation, en dessine les lignes, la temporalité et n’y associe pas son corps social. D’acteur potentiel, le salarié est réduit à une posture de spectateur tout sauf engagé, en retrait. Cet état de fait crée un cercle pernicieux où le corps social, se sentant de facto exclu de l’entreprise, ou tout du moins de son projet, s’auto-freine et décide, inconsciemment, de limiter sa capacité d’initiative ou sa force d’innovation.

De leur côté, les indicateurs clefs de performance se révèlent à double tranchant. Ils focalisent l’attention et mettent sous tension le corps social pour rechercher activement le résultat désiré. C’est pourquoi il faut y penser à deux fois avant de les graver dans le marbre… Dans leur essai « Hard Facts, Dangerous Half-Truths and Total Nonsense », Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, professeurs à Stanford, relatent l’exemple d’une entreprise de la grande distribution qui lance un programme de relation client fondé sur… le sourire des personnels au contact avec la clientèle. Le programme fut arrêté lorsque l’entreprise se rendit compte que l’attente numéro un des clients portait, de très loin, sur le temps consacré à faire ses courses. Bref, là où le client attendait de la réactivité et de la vitesse, l’entreprise répondait par… des sourires. Certes, rien n’interdit de faire les deux, mais mieux vaut concentrer l’attention sur ce qui crée objectivement de la valeur. Les KPI ont de grandes vertus, mais leurs effets de bord peuvent être aussi puissants que prolongés.

La pression des mandats courts, celle des résultats et des actionnaires, le besoin apparemment réconfortant du mouvement pour le mouvement ou l’urgence d’un simple effet d’affichage, sont des terrains fertiles favorisant… les « plantages » rapides plus que les plantations durables utiles aux process de transformation réussis.

Ceux-ci ne peuvent s’arrêter aux slides de consultants interchangeables que l’on suit à la lettre, aux lieux et aux espaces que l’on bricole et nomme à la hâte, ni à la nov-langue que l’on se met soudainement à employer. La transformation c’est toujours l’embarquement du réel. Et le réel, c’est à dire les process, la culture, les hommes et l’ensemble de leurs interactions, ne se cantonne pas à sa surface.