Il faut recruter les dirigeants pour ce qu’ils pourront faire, pas pour ce qu’ils ont déjà fait
Les entreprises doivent changer la manière dont elles évaluent les candidats pour les postes de direction.
Cinquante ans après sa publication, « Le principe de Peter » n’a pas pris une ride. « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité », affirmait ainsi son auteur, le pédagogue Laurence J. Peter. Selon sa théorie, les plus compétents sont promus jusqu’à atteindre une position qui dépasse leur niveau de compétences, ce qui met un terme à leur évolution.
Malheureusement, les études académiques montrent que les promotions sont en grande partie des récompenses accordées en vertu de performances passées et que les entreprises continuent de croire que ce qui a permis à un individu de réussir jusqu’alors garantit sa réussite future, et ce même si ses responsabilités changent. Cela explique peut-être pourquoi il y a encore autant de dirigeants incompétents.
Les entreprises qui souhaitent sélectionner les meilleurs candidats pour des postes de direction seraient donc bien inspirées de changer la manière dont elles les évaluent. La prochaine fois que vous aurez un tel poste à pourvoir, posez-vous trois questions :
1. Les compétences du candidat font-elles de lui un contributeur très performant ou un dirigeant efficace ?
Le niveau de performance des contributeurs individuels est déterminé en grande partie par leurs capacités, leur sympathie et leur dynamisme. En revanche, le leadership requiert un éventail plus large de traits de caractère, dont un niveau élevé d’intégrité et un faible niveau de narcissisme et de psychopathie, sources de comportements indésirables.
Ces différences expliquent pourquoi les grands athlètes font en général de piètres coachs (et inversement) et pourquoi les individus les plus performants font souvent de mauvais leaders.
Nous savons tous que les vendeurs, les développeurs de logiciels et les courtiers en Bourse qui réussissent le mieux maîtrisent certaines compétences techniques à la perfection, connaissent leur domaine sur le bout des doigts, sont disciplinés et capables de se gérer tout seuls. Mais ces mêmes compétences permettent-elles de faire en sorte qu’un groupe d’individus mettent de côté leurs objectifs personnels pour coopérer efficacement au sein d’une équipe ? Probablement pas. Certes, les dirigeants ont besoin d’avoir un certain niveau de compétences techniques pour asseoir leur crédibilité, mais s’ils sont dotés d’une trop grande expertise dans un domaine donné, cela peut en fait se révéler handicapant. En effet, les experts sont souvent desservis par leurs idées arrêtées et l’étroitesse de leur point de vue, qui découlent de leurs années d’expérience. Les grands leaders sont, eux, capables d’ouverture d’esprit et d’adaptation, et ce, quel que soit leur nombre d’années d’expérience. Ils réussissent dans leur fonction parce qu’ils sont sans arrêt en train d’apprendre (lire aussi l’article : « Apprendre à apprendre »).
Cela a été prouvé dans nombre de situations, y compris dans la vente. Une étude universitaire menée auprès de 200 entreprises a ainsi montré que la performance d’un vendeur était négativement corrélée à sa performance en tant que responsable commercial. Si vous promouvez votre meilleur vendeur à un poste de management, vous aurez donc deux problèmes : vous aurez perdu votre meilleur vendeur et gagné un manager médiocre.
2. Puis-je vraiment me fier aux évaluations individuelles de la performance d’un candidat ?
La mesure de la performance individuelle est le plus souvent laissée à l’appréciation subjective du n+1, par nature biaisée, soumise à des jeux de politique interne et à la capacité du salarié à « manager » son propre supérieur hiérarchique. Même si le management de la performance par les pairs et par le réseau se développe, ce n’est que le début. L’évaluation de la performance peut donc être sujette à caution.
Cela explique sans doute pourquoi, à performances identiques, les femmes sont moins promues que les hommes. En effet, beaucoup d’entreprises nomment à des postes de direction des individus qui « font bonne impression », quand bien même leurs réelles contributions sont minimes.
Si vous vous posez la question ci-dessus et que la réponse est « non », prenez le temps de réfléchir à ce qui fait un bon dirigeant dans votre entreprise. Est-ce un leader en mesure de produire des résultats conséquents ? De rassembler ? D’écouter et d’aider les autres à grandir ? Ou cherchez-vous des leaders capables de créer du lien, d’innover et d’aider l’entreprise à se transformer ? Les besoins d’une société peuvent varier selon les moments et ce n’est pas parce qu’un individu est performant dans ses fonctions qu’il vous permettra d’atteindre vos objectifs immédiats.
3. Est-ce que je regarde droit devant ou dans le rétroviseur ?
Le secret pour sélectionner les bons leaders est de ne pas récompenser les faits passés, mais d’anticiper l’avenir. Chaque entreprise est alors confrontée au même problème : comment identifier les individus les plus à même de guider vos équipes dans un contexte de complexité, d’incertitude et de changements croissants ? De tels individus peuvent avoir un profil très différent de ceux qui ont réussi dans le passé, voire de ceux qui réussissent aujourd’hui.
Pour commencer, évitez de promouvoir un salarié seulement sur la base de son adéquation à la culture d’entreprise. Aussi bonnes que soient vos intentions, vous risquez d’encourager ainsi la pensée unique et des modèles de leadership dépassés. Dans un monde qui change constamment, on attend des entreprises qu’elles croissent aussi vite que les technologies et qu’elles se transforment sans cesse. Ce qui a fonctionné par le passé et ce qui fonctionne à présent ne fonctionnera peut-être pas à l’avenir. Les entreprises doivent donc s’habituer à sortir des sentiers battus, ce qui implique de promouvoir à des rôles de direction des « inadaptés » ou des individus « qui pensent différemment », et de les soutenir en leur laissant le temps de faire leurs preuves. C’est l’une des manières d’élargir votre vivier de candidats à ce type de poste.
Vous devriez également considérer ceux qui ne sont « peut-être pas prêts » et les évaluer en fonction de leurs ambitions, de leur réputation et de leur niveau d’implication dans l’entreprise. Souvent, ceux qui sont les plus jeunes, les plus agiles et qui ont le plus confiance en eux deviennent de très bons leaders, même s’ils n’ont pas encore vraiment fait leurs preuves. Mark Zuckerberg, l’un des P-DG ayant le mieux réussi ces dernières décennies, n’avait presque pas d’expérience des affaires lorsqu’il a lancé Facebook. Steve Jobs n’avait jamais dirigé de grande entreprise avant Apple, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir une compréhension fine des enjeux, les connexions et la détermination nécessaires pour en faire une marque omniprésente.
Il est temps de redéfinir ce qu’est le leadership. En ne vous limitant pas à promouvoir vos collaborateurs les plus compétents, mais aussi ceux qui sont le plus à même de vous emmener là où vous voulez aller, votre entreprise prospérera. En d’autres termes, il est temps de prendre en considération vos salariés à fort potentiel et pas seulement ceux qui sont les plus performants.