Comment être certain de rater la transformation de son entreprise ?

C’est souvent lié à trois écueils récurrents.

Lorsque l’on est dirigeant, rater la transformation de son entreprise est une chose très simple. Cela passe souvent par trois syndromes relativement fréquents, dissociés les uns des autres ou, mieux, simultanés, qui ont pour effet de ralentir ou d’annihiler les processus de transformation pourtant nécessaires et souhaités.

1- Le syndrome de la tour d’ivoire : comment ne pas être au rendez-vous de la transformation

C’est probablement l’écueil le plus courant. Il résulte d’une distorsion entre la vision, ou le discours, portés par le dirigeant et la réalité de son entreprise. La tentation est grande de tenir un propos volontairement engagé, de s’adresser au corps social avec ambition, de porter une volonté réelle de changement… Mais encore faut-il donner l’exemple. Or souvent les organisations et leurs dirigeants veulent transformer sans se transformer eux-mêmes et dès lors ne remplissent pas ce devoir d’exemplarité.

Prenons, par exemple, cette injonction récurrente qui appelle à « casser les silos ». Elle s’adresse en particulier aux collaborateurs et aux différents métiers, parties prenantes de la chaîne de valeur ; elle implique que chacun joue pleinement l’interdépendance, s’extraie de sa sphère d’autonomie et se mette au service de l’autre. Cela participe bien sûr d’une recherche de réactivité, d’efficience, voire d’intelligence collective. Toutefois, combien de fois constatons-nous que ces programmes évitent soigneusement de remettre en question le fonctionnement des instances dirigeantes ? D’un côté, le comité de direction somme le collaborateur de coopérer, de développer les liens entre services, d’avoir un impact positif sur ses pairs ; de l’autre, le même comité de direction continue de reproduire les mêmes pré-carrés, les mêmes luttes d’influence, de prêcher la coopération sans la pratiquer réellement.

2- Le syndrome de la vie parallèle : comment multiplier les initiatives sans lien avec le réel

Le second écueil, qui d’une certaine manière est le corollaire du premier, consiste à développer un ensemble de lieux et d’initiatives à vocation innovante, mais en réalité décorrélés du projet véritable de l’entreprise. On ne compte plus les lab, les hubs ou autres open innovation au sein des organisations. Mais combien d’entre eux s’intègrent vraiment à l’entreprise ? Combien d’entre eux apportent durablement une plus-value véritable ou des solutions pratiques à l’entreprise ? On peut multiplier les signes et les lieux sans que rien ne prenne, n’entraîne ou ne bouge.

Trop souvent, les initiatives « bottom up » semblent se limiter à une vaste opération menée une fois tous les deux ou trois ans, où le corps social est mobilisé pour exprimer ses idées. Beaucoup d’idées, si possible ! On assiste à une ébullition de concepts, de projets, mais sans suivi et sans que cela ne débouche sur quelque chose de concret, que l’on peut constater dans le quotidien opérationnel. La boîte à idées qui a généré au départ un engouement très prometteur finit par se tarir et livrer de moins en moins de propositions. L’essoufflement est général. La vie parallèle, c’est croire que les collaborateurs peuvent se satisfaire d’une participation circonscrite avec peu d’effets visibles sur leur réalité au travail.

3- Le syndrome de l’étouffoir : comment créer une fabrique à tuer l’initiative

Il y a deux formes de KPI, l’un valorisable le Key Performance Indicateur, et un second KPI, le Killing People initiative, et c’est évidemment du côté du second qu’il faut chercher des freins aux processus de transformation. Il répond à une logique encore très marquée par le top down ; en somme, le dirigeant porte le projet de transformation, en dessine les lignes, la temporalité et n’y associe pas son corps social. D’acteur potentiel, le salarié est réduit à une posture de spectateur tout sauf engagé, en retrait. Cet état de fait crée un cercle pernicieux où le corps social, se sentant de facto exclu de l’entreprise, ou tout du moins de son projet, s’auto-freine et décide, inconsciemment, de limiter sa capacité d’initiative ou sa force d’innovation.

De leur côté, les indicateurs clefs de performance se révèlent à double tranchant. Ils focalisent l’attention et mettent sous tension le corps social pour rechercher activement le résultat désiré. C’est pourquoi il faut y penser à deux fois avant de les graver dans le marbre… Dans leur essai « Hard Facts, Dangerous Half-Truths and Total Nonsense », Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, professeurs à Stanford, relatent l’exemple d’une entreprise de la grande distribution qui lance un programme de relation client fondé sur… le sourire des personnels au contact avec la clientèle. Le programme fut arrêté lorsque l’entreprise se rendit compte que l’attente numéro un des clients portait, de très loin, sur le temps consacré à faire ses courses. Bref, là où le client attendait de la réactivité et de la vitesse, l’entreprise répondait par… des sourires. Certes, rien n’interdit de faire les deux, mais mieux vaut concentrer l’attention sur ce qui crée objectivement de la valeur. Les KPI ont de grandes vertus, mais leurs effets de bord peuvent être aussi puissants que prolongés.

La pression des mandats courts, celle des résultats et des actionnaires, le besoin apparemment réconfortant du mouvement pour le mouvement ou l’urgence d’un simple effet d’affichage, sont des terrains fertiles favorisant… les « plantages » rapides plus que les plantations durables utiles aux process de transformation réussis.

Ceux-ci ne peuvent s’arrêter aux slides de consultants interchangeables que l’on suit à la lettre, aux lieux et aux espaces que l’on bricole et nomme à la hâte, ni à la nov-langue que l’on se met soudainement à employer. La transformation c’est toujours l’embarquement du réel. Et le réel, c’est à dire les process, la culture, les hommes et l’ensemble de leurs interactions, ne se cantonne pas à sa surface.

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