Attirer les talents dans les PME

LE CERCLE/POINT DE VUE – Les PME éprouvent des difficultés à s’entourer d’employés aux compétences recherchées. Pour y remédier, elle devront combler leur déficit d’image et changer de stratégie RH.

Nul ne peut nier l’importance des PME dans le tissu économique français : 140.000 sociétés emploient plus de 4 millions de personnes. En 2017, celles-ci ont surfé sur l’accélération de l’économie française, et continuent de se renforcer. Mais pour croître davantage et innover, ces entreprises doivent attirer de nouveaux talents.

Une tâche bien difficile, tant ces acteurs mal connus restent peu attrayants pour les jeunes diplômés et les cadres confirmés. Selon une enquête récente de Bpifrance réalisée auprès de 2.000 dirigeants de PME et ETI, 6 PME sur 10 déclarent manquer de talents, à tout niveau de qualifications et de postes. 83 % déclarent avoir des difficultés de recrutement et 46 % des difficultés sérieuses. Pire, 87 % des entreprises familiales sont dans cette situation.

Séduire les Millenials

Faut-il s’en étonner ? Loin de faire rêver comme les start-up, synonymes de «cool» et de méthodes souples de travail, les PME continuent à véhiculer les poncifs : elles se résumeraient à des implantations géographiques peu enviables loin des grandes villes, des métiers peu attractifs et des offres peu avantageuses en termes de salaires, de sécurité de l’emploi ou d’avantages sociaux.

Leur déficit de prestige face aux jeunes pousses et aux grands groupes internationaux est certain, alors qu’elles restent largement inconnues des candidats à l’emploi. La situation est pourtant loin d’être inéluctable. Car les PME disposent de vrais atouts pour séduire et sont bien plus proches des aspirations des Millenials que leur image ne le laisse à penser.

Ce sont souvent des entreprises conviviales, à l’opposé des grandes sociétés déshumanisées et bureaucratiques aux lignes de reporting de plus en plus démultipliées ; petites entités, la proximité managériale confère une dimension plus humaine et plus flexible aux relations de travail, et l’équilibre vie professionnelle-vie privée y est plus facile à atteindre ; enfin, l’expression des talents individuels et l’accès aux responsabilités y sont souvent plus rapides.

Parvenir à se vendre

Reste à le faire savoir – une démarche étrangère à ces entreprises plus habituées à vendre leurs produits qu’elles-mêmes. Il est temps changer de paradigme ! Au niveau de leur marketing tout d’abord, car la marque employeur n’est pas l’apanage des grands groupes.

Ces sociétés doivent se faire connaître dans les salons de recrutement et via des partenariats avec les écoles, et développer leur présence numérique. Elles doivent façonner et faire rayonner leur culture d’entreprise. Alors que les «talents» sont chassés de toutes parts, changer le regard des jeunes diplômés sur les PME passe d’abord par une amélioration de leur image et leur prestige.

Diversifier les profils et former

Elles ont également l’ardente obligation de revoir leur stratégie RH, rarement structurée, et peu encline à la diversification des profils, notamment dans les entreprises familiales. Les managers ne doivent pas avoir peur de travailler avec des personnalités diverses !

Pour renforcer leur attractivité, développer la fidélisation est également indispensable. Cela passe par un alignement des intérêts entre salariés et managers, avec l’introduction de systèmes de primes, d’un actionnariat salarié, et accepter de nouvelles méthodes de travail plus souples, telles que le télétravail.

Enfin, la formation est la clé de voûte de la gestion des compétences et du développement des collaborateurs. Les PME, souvent spécialisées dans leur domaine d’activité, doivent pouvoir proposer de véritables parcours professionnels à travers notamment le développement de l’entreprise.

Faire appel à un intérimaire ?

Pourquoi pas introduire également de la flexibilité dans le recrutement ? Pour une petite structure, une embauche est toujours un défi, et ce, d’autant plus lorsque la tâche à accomplir est temporaire. Restructurer une chaîne de production, lancer une transformation digitale, organiser un développement international ou réussir une croissance externe sont autant de projets où l’entreprise peut avoir besoin d’un professionnel expérimenté dans un poste qui n’a pas nécessairement vocation à se pérenniser.

Le recours à un intérimaire est alors une solution. Car l’intérim n’est plus cantonné aux postes peu qualifiés : le management de transition, un concept apparu dans les années 2000, est une excellente solution qui reste trop largement méconnue. En ayant recours de façon temporaire à un professionnel externe volontairement surqualifié pour un poste clé de l’entreprise, la PME gagne un savoir-faire et une expertise sans égal, pour un coût non pérenne, tout en évitant de concurrencer le management en place. Avec, à la clé, un vrai bonus : le super senior peut insuffler un nouvel élan pour la société, synonyme de croissance… et une autre façon d’attirer les talents ! Et aujourd’hui, il faut sans doute beaucoup plus de talent pour faire passer une PME à une ETI que pour créer une start-up.

Fabrice Imbault est directeur général d’A Plus Finance

PME : 10 conseils pour attirer les talents et les fidéliser

Un des enjeux de ces dernières années dans la gestion des ressources humaines d’une entreprise est de réussir à attirer les talents. Ce que l’on entend par “talents”, ce sont bien sûr les profils les plus polyvalents du marché. Souvent associés aux millenials, les talents que les entreprises recherchent, aiment apprendre par eux-mêmes. Ils sont animés par le challenge et peuvent dynamiser leurs équipes s’ils sont bien encadrés.
Ces moutons à cinq pattes, comme on les appelle parfois, sont difficiles à attirer mais surtout à fidéliser. Entretenir la motivation des talents, et développer une réelle gestion des compétences, c’est ça le véritable défi des entreprises aujourd’hui.

Le talent n’aime pas l’inertie, il cherche à l’éviter au maximum.

Comment booster l’attractivité de son entreprise pour attirer les talents ? Comment garder un talent dans ses équipes ? Quelles sont les clés de l’épanouissement des talents ? Ce sont à ces questions que nous allons répondre en 10 points clés.

Défi n°1 : Attirer les talents
• Savoir communiquer : la communication d’une entreprise en dit long sur son état d’esprit et ses valeurs. En 2018 on ne peut plus se permettre de dire que l’on a pas besoin de communiquer pour recruter. Les réseaux sociaux sont devenus un véritable gisement de talents pour ceux qui s’en donnent les moyens. Si votre entreprise a besoin d’attirer les talents, elle doit aller les chercher sur leurs terrains. LinkedIn, en particulier, est aujourd’hui une étape incontournable dans le recrutement de ces millenials talentueux.

• Connaître ses atouts : une entreprise attractive de l’extérieur est une entreprise saine à l’intérieur. Pour attirer les talents au sein de votre entreprise, il est très important de vous pencher sur le bien-être de vos équipes en place. A l’heure actuelle les informations circulent vite et vos collaborateurs communiquent auprès de leurs réseaux. Soyez proactif et faites par exemple un audit interne pour découvrir quels sont vos atouts et vos points faibles. Soyez à l’écoute de vos collaborateurs avant qu’ils ne détériorent l’image de votre entreprise.
Une entreprise attractive de l’extérieur est une entreprise saine à l’intérieur.

• Donner du sens : une des caractéristiques qui différencie le talent d’un profil classique, c’est le sens qu’il donne à ce qu’il fait. Pour attirer les talents, il faut donner un véritable sens à ce qu’ils font et à ce que vous êtes. Quelles sont les valeurs de votre entreprise ? Comment le talent pourrait-il apporter sa contribution au développement de l’entreprise ? Il a besoin de travailler pour une entreprise avec laquelle il a des convictions communes. Vous devez l’aider à se projeter dans votre organisation en lui accordant une place stratégique. Sa position dans l’entreprise doit pouvoir lui permettre d’avoir un réel impact.

• Être réactif : pour attirer les talents, la clé de la réussite est la réactivité. Dites-vous bien qu’aujourd’hui, les talents sont vite repérés par plusieurs entreprises. Face aux talents, vous n’êtes pas en position de supériorité, vous vous devez d’être dynamique et réactif. Le talent est souvent jeune, connecté et dynamique, c’est d’ailleurs pour cela que son profil vous intéresse. N’hésitez pas à être dynamique en retour, ne laissez pas les mails sans réponses trop longtemps. Des échanges fastidieux et un processus de recrutement rigide peuvent créer de la démotivation chez le talent.
La recherche du sens et la création de valeur sont deux composantes des talents de demain.

Défi n°2 : Fidéliser les talents
Les talents de demain changent de job comme ils changent de chaussures, et ils ont bien raison. Ils ne se fatiguent plus à rester dans une entreprise s’ils ne sont plus motivés. Ils ne veulent pas être des pions sur un échiquier, ils veulent donner du sens à ce qu’ils font et avoir un impact. Pour développer une gestion des compétences efficace au sein de votre entreprise, voici quelques conseils.

• Créer de l’engagement : un des indicateurs de la santé d’une entreprise est l’engagement de ses collaborateurs. Une entreprise qui est dynamisée à l’interne comme à l’externe par ses équipes génère un sentiment de satisfaction et de bien-être. L’épanouissement des collaborateurs est un facteur clé d’engagement, et inversement. Pour fidéliser les talents au sein de votre entreprise, vous devez générer de l’engagement, et cela va de paire avec le bien-être. Vous pouvez par exemple créer un “programme ambassadeur” pour dynamiser l’entreprise en interne et donner la parole à vos talents.

• Responsabiliser : le talent a besoin d’être très rapidement responsabilisé. La responsabilisation est une marque de confiance et d’engagement de l’entreprise à l’égard de son collaborateur. Cela montre que vous êtes conscient du potentiel de vos équipes et que vous n’avez pas peur de leur laisser du pouvoir. Pour les talents, c’est particulièrement important car ils ont besoin d’avoir une certaine marge de manœuvre. Le fait de devoir rendre des comptes et d’être bridé peut crée souvent un désengagement de la part du talent. En le responsabilisant vous lui permettez d’avoir un réel impact dans l’entreprise, et c’est ce qu’il recherche en priorité.

• S’adapter : le talent ne reste pas sur ses acquis, il a besoin d’être challengé. La capacité d’une entreprise à faire évoluer ses talents sera déterminante pour réussir à les fidéliser. Il ne faut donc pas hésiter à proposer ou accepter des demandes de formations de la part de vos talents. Ils ont besoin d’apprendre et de se dépasser régulièrement. Par conséquent, s’ils ne peuvent pas acquérir de nouvelles compétences ou les mettre en œuvre librement, ils se démotiveront rapidement.
Pour le talent, les entreprises qui n’ont pas de communication interne et qui n’incluent pas leurs équipes dans les décisions, appartiennent au passé.

• Être transparent : la transparence est ce qui différencie une entreprise d’avenir, d’une entreprise archaïque aux yeux des talents. La transparence des salaires, des processus, l’accessibilité aux données de l’entreprise… tout cela permet de générer de la confiance entre l’entreprise et ses collaborateurs. A l’ère du big data et de l’open source, il est très mal perçu pour une entreprise de dissimuler des informations. Le talent a besoin d’établir un rapport de confiance avec son entreprise. Il demande une honnêteté totale qui n’est pas toujours facile à mettre en place.

• Créer de la valeur : ce qui motive un talent à rester dans une entreprise ce n’est pas toujours ce qu’il y fait, mais pourquoi il le fait. Le talent a besoin de donner un sens à ce qu’il fait mais surtout il aime créer de la valeur. En tant qu’entreprise il est important d’accompagner vos talents dans leurs missions et les aider à créer cette valeur. Cela sera bénéfique au collaborateur mais également à l’entreprise entière qui ne sera plus seulement une entreprise saine, mais bien une entreprise humaine.

• Être à l’écoute : une problématique de plus en plus complexe à gérer ces dernières années est d’arriver à concilier vie privée et vie professionnelle. En d’autres termes, que l’on soit chef d’entreprise ou salarié, la digitalisation des outils de travail génère des débordements parfois nocifs. Dans l’objectif de fidéliser les talents de votre entreprise, et l’ensemble des collaborateurs, il est important de rester à l’écoute de leurs besoins. Vous pouvez par exemple adopter une politique de “déconnexion” franche et décider de stopper l’envoi d’e-mails après 19h par exemple. Pour permettre à vos talents de concilier vies privées et professionnelles, vous pouvez également les laisser aménager leurs horaires. En donnant plus de souplesse à vos équipes, elles se sentiront valorisées et seront plus productives, c’est une stratégie win-win assurée.

L’entreprise digitale à la recherche de nouvelles formes de management

L’« entreprise digitale », et le modèle qui en découle, sont souvent perçus comme un mélange de pragmatisme productiviste et d’utopie californienne, et si ce n’est pas totalement faux, cela résume quelque peu sommairement l’histoire des nouvelles formes de management en vigueur au sein de ces entreprises.

Certes, on ne peut nier l’importance de la pensée radicale et utopiste qui a poussé des scientifiques – financés par l’armée américaine – à inventer Arpanet qui deviendra plus tard Internet ; c’est ce même utopisme qui a poussé Steve Jobs à vouloir à donner un ordinateur à chaque Américain afin de lutter contre le lobby du corporatisme militaire qu’il percevait dans l’association d’IBM et de l’armée américaine. Très tôt donc, une forme de culture underground a existé au sein de cette Silicon Valley, invitant à repenser le monde et, par induction, les modèles de management en utilisant le vecteur de la technologie.

Une extraction de molaire sans novocaïne

Toutefois, l’observation des pratiques en vigueur au sein des entreprises de la Silicon Valley pousse plutôt à penser qu’il n’a pas existé, au moins jusqu’au 21siècle, de modèle homogène au sein des entreprises les plus emblématiques de cet écosystème. Ainsi, l’un des gourous du modèle de management des entreprises technologiques – dont Steve Jobs s’est d’ailleurs largement inspiré – n’est autre qu’Andy Grove, le fondateur et premier directeur général d’Intel, trois décennies durant. Andy Grove était célèbre pour la dureté et l’organisation militaire de son management. Pour l’ancien directeur général de VMware, Pat Gelsinger, « une séance de travail avec Andy était comme une extraction de molaire chez un dentiste se refusant à utiliser de la novocaïne ». Andy Grove écrivit le best-seller « Seuls les paranoïaques survivent », resté célèbre pour l’apologie qu’il y fait du stress et de la confrontation brutale. Par la suite cependant, dans son autre livre « High Output Management », l’on y trouve clairement mis en exergue des principes communs avec ceux des entreprises digitales : la transparence, qui est selon lui une vertu managériale essentielle ; de même que la mesure de la performance au travers des données, qu’il voit comme fondamentale ; la pensée de rupture, qu’il consacre comme un principe phare de son modèle de management et qui est une invitation impérative à l’autonomisation des individus et des équipes. Une autonomisation qu’il consacrera dans les dernières années de son règne, en lançant de nombreux projets de petites tailles, dans une logique d’innovation de rupture. Andy Grove a quitté le management d’Intel en 1996, soit bien avant l’émancipation de la génération millénium, et au moment même de l’émergence de la révolution internet.

S’inspirer de l’esprit Agile

Qu’il s’agisse de Cisco ou de Hewlett-Packard, on retrouve également des processus de fonctionnement qui sont assez semblables à ceux qui composent une entreprise classique, avec des processus hiérarchiques très structurés, des modalités de reporting directionnelles, etc. Ce n’est donc ni Andy Grove, ni même une autre icône de la Silicon Valley, qui va inspirer les nouveaux modèles de management, mais plutôt une itération progressive, dont on trouve les prémices au sein des communautés de développeurs qui ont, les premières, repensé le mode de fonctionnement de l’entreprise. Dès les années 1950, des programmeurs envisagent des méthodes de développement révolutionnaires dans le monde cybernétique, « itératives », déléguant un pouvoir important aux informaticiens. Mais ces approches n’ont, des décennies durant, qu’un impact limité tant elles sont révolutionnaires d’une part et tant les outils structurants manquent d’autre part. Les grandes sociétés de service informatique lui préfèreront longtemps des modèles faisant intervenir des business analyst. C’est dans la région de Boston, au cours des années 1990, que les travaux de Jeff Sutherland et Ken Schwaber – les inventeurs de la méthode Agile – font à nouveau ressortir l’idée que des développeurs qui ne travailleraient plus dans le cadre de tâches mais dans celui d’objectifs seraient beaucoup plus performants. Ce qui sera alors nouveau, c’est qu’avec Internet, il est désormais possible de synchroniser de larges équipes de développeurs et de tester plus rapidement qu’auparavant. En 2001, Jeff Sutherland et Ken Schwaber promeuvent « Le manifeste agile du développement logiciel », qui marque un premier tournant. De nombreuses entreprises, ICQ, Paypal mais également Motorola et d’autres moins connues, observent que des méthodes relativement proches (eXtreme Programming, Adaptive Software Development et Feature-Driven Development), généralement inspirées de l’esprit Agile, permettent des niveaux de productivité sensiblement plus élevés qu’auparavant.

Il est remarquable de constater que les grandes entreprises digitales sont en train d’homogénéiser leurs pratiques managériales autour de quelques principes simples et surtout d’harmoniser l’usage d’outils logiciels désormais faciles à déployer du fait du cloud. Au cours des années 2000, trois outils issus du cloud vont progressivement révolutionner les modèles de management, dans le cadre de cette vague « Agile » d’autonomisation des collaborateurs : les Analytics ; les outils de communication de type messsagerie instantanée – Instant Messaging ; et les outils de partage de projet – Project sharing tools.

1- Les Analytics : auparavant domaine réservé des grands éditeurs de systèmes d’information d’entreprise, ils se sont largement démocratisés depuis la naissance du fameux Google Analytics. Désormais, ils permettent aux entreprises de diffuser une culture de la donnée et du « benchmark » de façon simple, au travers du cloud. Toute l’entreprise, quels que soient les types d’expertises de ses collaborateurs, peut donc disposer d’une compréhension fine aussi bien d’enjeux génériques ou « corporates » que de points de données qui ne concerneraient qu’un petit groupe d’individus. Ainsi, dans les organisations digitales, les données, présentées sous forme de tableaux de bord visuels – dashboard – structurent largement la culture d’entreprise et sont souvent les juges de paix, lorsqu’il s’agit d’accroître un investissement ou au contraire de le stopper.

2- Les messageries instantanées ont, au sein des entreprises récentes, souvent presque totalement remplacé l’e-mail. Si les générations postérieures à X les critiquent pour être trop intrusives, elles sont plébiscitées par celles qui les suivent. Au-delà d’être instantanées, elles permettent de classer par sujet les échanges d’information et d’avoir un historique clair de ces derniers. Ainsi un nouveau venu sur un projet donné pourrait, sous réserve de bien maîtriser ce type d’outil, en comprendre toute l’étendue et la complexité en quelques heures. Le plus fameux d’entre eux, Slack, est si répandu que certains développeurs stars de la Silicon Valley refusent de travailler avec certaines entreprises si elles n’en sont pas équipées. Ce type d’outil n’est d’ailleurs plus restreint aux fonctions techniques, mais adopté par l’ensemble des entreprises digitales, du directeur général au stagiaire.

3- Les outils de partage de projet. Qu’il s’agisse d’entreprises qui conçoivent des réacteurs d’avion avec des outils de modélisation 3D comme General Electric ou qui élaborent le code informatique de sites d’e-commerce comme Amazon, la révolution cloud a permis de généraliser des outils disposant d’un niveau de collaboration et de transparence jamais auparavant atteint.

Ces trois outils sont évidemment fortement complémentaires et comportent généralement des fonctionnalités qui permettent de naviguer avec aisance de l’un à l’autre. Ils ont induit une nouvelle culture du management, qui comprend quelques notions fortes :

Une transparence très avancée, qui permet de regarder très facilement ce qui a été réalisé par les autres collaborateurs. Le corolaire étant évidemment une capacité de contrôle et potentiellement de coercition très importante.

– Une culture presque religieuse du KPI, principalement introduite par les Analytics.

– Des cultures d’entreprise et des règles, généralement implicites, fortes. Il est évident que si, avec le développement des outils de chat (messagerie instantanée), tout le monde se mettait à communiquer à tout va, la concentration des collaborateurs et finalement, la productivité, s’en ressentirait fortement.
L’erreur généralement commise consiste à imaginer qu’il suffit d’intégrer ces outils pour devenir une entreprise digitale. C’est évidemment un raccourci que l’on veillera à ne pas faire car de facto, le niveau de maîtrise technologique qu’il convient d’atteindre avant d’accéder aux données d’une entreprise dite « traditionnelle » et de pouvoir libérer les données essentielles est particulièrement exigeant ; données qui seront utilisées à la fois dans les Analytics et dans les projets. Le décloisonnement des organisations, le passage en gestion de type « lac de données », la mise en œuvre d’API, étant quelques-unes des étapes à franchir.

Un préalable, adopter le mode projet

De surcroît, ces outils ne prennent leur plein potentiel que si l’entreprise s’est organisée autour du mode projet, et cela le plus largement possible. On n’imagine que difficilement les obstacles culturels, manageriaux qu’il convient de franchir pour arriver à cette situation. La conséquence la plus importante à l’introduction de ces outils est donc l’évolution vers un mode projet, où les outils se substituent largement à la hiérarchie, au « command and control » qui est le propre des organisations traditionnelles. Il existe toujours un contrôle hiérarchique dans les entreprises digitales, il est beaucoup moins visible et, comme le résume le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, son rôle est davantage « de résoudre les problèmes qui ne peuvent plus être résolus par les équipes projet et […] de maîtriser la stratégie à long terme ».

Certes, les résistances culturelles à une telle évolution sont fortes : si les générations Y et postérieures sont plus compatibles avec les principes de transparence et d’accountability – le fait de rendre des comptes -, il n’en reste pas moins à adapter les transitions au cas par cas. Comme l’observe Philippe d’Irbarne dans son livre « La logique de l’honneur », la culture anglo-saxonne protestante, férue de transparence et privilégiant la notion de « fairness » – équité -, est probablement plus adaptée au modèle de l’entreprise digitale que « le code de l’honneur » très implicite qui marquerait les entreprises latines, et particulièrement françaises.

Il n’est donc pas incohérent d’envisager qu’il faille un certain délai pour faire muter une entreprise traditionnelle vers un mode digital, en gardant à l’esprit que les transformations technologiques sont infiniment plus aisées que celles qui touchent à la culture ou à l’ADN d’une entreprise.

Quel manager dans le monde digital qui nous attend ?

Le manager va-t-il être remplacé par deux applis et une intelligence artificielle ? Ou l’avenir est-il en une redéfinition des rôles des uns et des autres ? Telle est la question posée par Marguerite Descamps, consultante senior de PWC France et co-auteur, avec Frédéric Petitbon et Julie Bastianutti, de « Managers : libérez, délivrez…. Surveillez ? » aux éditions du Cherche-Midi. Pour elle, applis ou non, le management du XXIe siècle sera centré sur l’humain ou ne sera pas.

A l’heure du tout informatique et de la toute dématérialisation, notre manager classique est bien secoué. Les outils de SIRH (Système d’information de gestion des ressources humaines) se multipliant, il apprend qu’il existe désormais des algorithmes pour évaluer à sa place l’adéquation d’un profil à une fiche de poste, pour constituer la meilleure équipe en réponse à un besoin spécifique ou encore pour identifier des axes de feedback constructifs pour ses collaborateurs.

Ces outils, souvent « magiques », sont généralement très bien faits. Issus de groupes de travail multiples associant des personnes aux compétences complémentaires, ils ont souvent été élaborés sous la houlette de cabinets de conseil spécialisés. Lorsqu’ils sont déployés, ils permettent de structurer davantage les activités d’encadrement de nos managers. Outils « supports » au service et à la main des managers, ils sont souvent présentés comme des gains de temps, devant permettre aux managers d’économiser quelques minutes pour se repositionner sur des tâches à plus forte valeur ajoutée (coaching des équipes, feedback constructifs, résolution de problèmes…).

Le rôle du manager interrogé 

Et pourtant, dans ce monde merveilleux de la transparence permise par l’avènement et la multiplication des technologies, ils viennent trop souvent concurrencer l’homme, réinterrogeant de facto notre conception du management et du rôle et des responsabilités d’un manager. En effet, on constate malheureusement trop souvent que, par manque de temps ou de courage, ou par facilité, nos managers se réfugient derrière l’outil, prétexte à leur désinvestissement sur le terrain. Ce sont ces outils qui permettent de faire une évaluation professionnelle sans rencontrer le collaborateur puisqu’il suffit de remplir le questionnaire en ligne; de filtrer les CVs sans recevoir les candidats; ou encore de prédire, de capter les signaux faibles et d’anticiper les risques du burn-out chez un collaborateur dans les dix années à venir (et se préparer en vertu de ce classement à l’exfiltrer ou à ne pas l’embaucher).

Or, le collaborateur est-il un profil type que l’on peut réduire à trois tendances et deux couleurs ? Son action peut-elle être prédite à court, moyen, long terme par des outils, sans supposer de temps de rencontre et d’échanges approfondis et de qualité ? Peut-il être véritablement cet équipier du quotidien sans manager qui s’intéresserait à lui, à ce qu’il est vraiment… dans sa globalité (ses motivations, ses besoins, ses centres d’intérêt, professionnels et extra-professionnels). Dans ce monde où le travail est trop souvent devenu une composante essentielle de l’épanouissement individuel, peut-être est-il bon de (se) rappeler qu’il est avant tout fait pour l’Homme et non l’inverse.

Un nouveau rôle pour le manager

La révolution numérique nous rappelle avec acuité ce postulat et replace chaque manager face à cette dimension humaine et personnelle du collaborateur au travail. Sa part de liberté et de créativité, son hémisphère droit, son grain de folie et – bien sûr – les aspérités de sa vie personnelle et professionnelle (ces fameux « accidents ») pourront-ils jamais être réduits et saisis par de complexes algorithmes aussi précis soient-ils ? Dès lors, le rôle du manager se transforme. A lui d’aider à grandir ses collaborateurs (pour rappel, l’étymologie du mot “autorité” en latin – augure – signifie “faire grandir”).

En tant que coach et accompagnateur, c’est à lui d’écouter et de faire preuve d’empathie à l’égard de ce que son collaborateur ressent, même si c’est bien loin de ses propres préoccupations, en évitant l’écueil de projeter sur lui ses propres désirs et envies. C’est également à lui de prendre le temps de comprendre et de reconstituer ce « contrat implicite » qui lie son collaborateur à l’entreprise, voire à lui-même. Bref, d’accepter de perdre du temps pour en gagner.

Le travail comme un révélateur

Sous le sceau de l’explicite et de l’ouverture d’esprit, le manager a ainsi pour responsabilité d’aider son collaborateur à grandir et à garantir son employabilité, en l’encourageant à développer ses compétences, mais aussi en anticipant – avec lui et pour lui – des futurs possibles. Considérer que le collaborateur n’est pas une ressource captive, mais un potentiel en devenir, voilà la lourde de charge du manager de demain, gage de l’épanouissement et de l’engagement de son collaborateur au quotidien. Tout l’enjeu pour lui étant d’arriver à (réconci)lier transparence, honnêteté et confiance.

Le travail de notre manager prend alors tout son sens : réinventé, accéléré et renouvelé par l’avènement des outils. Et c’est seulement à cette condition qu’il pourra conclure comme Joseph Conrad dans Le Coeur des ténèbres (1902) « Je n’aime pas le travail, nul ne l’aime; mais j’aime ce qui est dans le travail l’occasion de se découvrir soi-même, j’entends notre propre réalité, ce que nous sommes à nos yeux, et non pas en façade« .