Quel manager dans le monde digital qui nous attend ?

Le manager va-t-il être remplacé par deux applis et une intelligence artificielle ? Ou l’avenir est-il en une redéfinition des rôles des uns et des autres ? Telle est la question posée par Marguerite Descamps, consultante senior de PWC France et co-auteur, avec Frédéric Petitbon et Julie Bastianutti, de « Managers : libérez, délivrez…. Surveillez ? » aux éditions du Cherche-Midi. Pour elle, applis ou non, le management du XXIe siècle sera centré sur l’humain ou ne sera pas.

A l’heure du tout informatique et de la toute dématérialisation, notre manager classique est bien secoué. Les outils de SIRH (Système d’information de gestion des ressources humaines) se multipliant, il apprend qu’il existe désormais des algorithmes pour évaluer à sa place l’adéquation d’un profil à une fiche de poste, pour constituer la meilleure équipe en réponse à un besoin spécifique ou encore pour identifier des axes de feedback constructifs pour ses collaborateurs.

Ces outils, souvent « magiques », sont généralement très bien faits. Issus de groupes de travail multiples associant des personnes aux compétences complémentaires, ils ont souvent été élaborés sous la houlette de cabinets de conseil spécialisés. Lorsqu’ils sont déployés, ils permettent de structurer davantage les activités d’encadrement de nos managers. Outils « supports » au service et à la main des managers, ils sont souvent présentés comme des gains de temps, devant permettre aux managers d’économiser quelques minutes pour se repositionner sur des tâches à plus forte valeur ajoutée (coaching des équipes, feedback constructifs, résolution de problèmes…).

Le rôle du manager interrogé 

Et pourtant, dans ce monde merveilleux de la transparence permise par l’avènement et la multiplication des technologies, ils viennent trop souvent concurrencer l’homme, réinterrogeant de facto notre conception du management et du rôle et des responsabilités d’un manager. En effet, on constate malheureusement trop souvent que, par manque de temps ou de courage, ou par facilité, nos managers se réfugient derrière l’outil, prétexte à leur désinvestissement sur le terrain. Ce sont ces outils qui permettent de faire une évaluation professionnelle sans rencontrer le collaborateur puisqu’il suffit de remplir le questionnaire en ligne; de filtrer les CVs sans recevoir les candidats; ou encore de prédire, de capter les signaux faibles et d’anticiper les risques du burn-out chez un collaborateur dans les dix années à venir (et se préparer en vertu de ce classement à l’exfiltrer ou à ne pas l’embaucher).

Or, le collaborateur est-il un profil type que l’on peut réduire à trois tendances et deux couleurs ? Son action peut-elle être prédite à court, moyen, long terme par des outils, sans supposer de temps de rencontre et d’échanges approfondis et de qualité ? Peut-il être véritablement cet équipier du quotidien sans manager qui s’intéresserait à lui, à ce qu’il est vraiment… dans sa globalité (ses motivations, ses besoins, ses centres d’intérêt, professionnels et extra-professionnels). Dans ce monde où le travail est trop souvent devenu une composante essentielle de l’épanouissement individuel, peut-être est-il bon de (se) rappeler qu’il est avant tout fait pour l’Homme et non l’inverse.

Un nouveau rôle pour le manager

La révolution numérique nous rappelle avec acuité ce postulat et replace chaque manager face à cette dimension humaine et personnelle du collaborateur au travail. Sa part de liberté et de créativité, son hémisphère droit, son grain de folie et – bien sûr – les aspérités de sa vie personnelle et professionnelle (ces fameux « accidents ») pourront-ils jamais être réduits et saisis par de complexes algorithmes aussi précis soient-ils ? Dès lors, le rôle du manager se transforme. A lui d’aider à grandir ses collaborateurs (pour rappel, l’étymologie du mot “autorité” en latin – augure – signifie “faire grandir”).

En tant que coach et accompagnateur, c’est à lui d’écouter et de faire preuve d’empathie à l’égard de ce que son collaborateur ressent, même si c’est bien loin de ses propres préoccupations, en évitant l’écueil de projeter sur lui ses propres désirs et envies. C’est également à lui de prendre le temps de comprendre et de reconstituer ce « contrat implicite » qui lie son collaborateur à l’entreprise, voire à lui-même. Bref, d’accepter de perdre du temps pour en gagner.

Le travail comme un révélateur

Sous le sceau de l’explicite et de l’ouverture d’esprit, le manager a ainsi pour responsabilité d’aider son collaborateur à grandir et à garantir son employabilité, en l’encourageant à développer ses compétences, mais aussi en anticipant – avec lui et pour lui – des futurs possibles. Considérer que le collaborateur n’est pas une ressource captive, mais un potentiel en devenir, voilà la lourde de charge du manager de demain, gage de l’épanouissement et de l’engagement de son collaborateur au quotidien. Tout l’enjeu pour lui étant d’arriver à (réconci)lier transparence, honnêteté et confiance.

Le travail de notre manager prend alors tout son sens : réinventé, accéléré et renouvelé par l’avènement des outils. Et c’est seulement à cette condition qu’il pourra conclure comme Joseph Conrad dans Le Coeur des ténèbres (1902) « Je n’aime pas le travail, nul ne l’aime; mais j’aime ce qui est dans le travail l’occasion de se découvrir soi-même, j’entends notre propre réalité, ce que nous sommes à nos yeux, et non pas en façade« .

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