Le recrutement prédictif, une méthode efficace pour éviter les erreurs de casting

Pour lutter contre le turnover des cadres, les entreprises ont de plus en plus recours au recrutement prédictif.

C’est prouvé : la qualité des recrutements effectués par les entreprises a un impact direct sur leurs résultats opérationnels, notamment sur les profits réalisés ainsi que sur la rentabilité. Le problème, c’est que la façon dont la majorité des organisations recrute aujourd’hui est loin de fournir des résultats satisfaisants.

Ainsi, 17% des personnes embauchées ne sont plus en poste après tout juste six mois, selon la Dares. Au bout d’un an, ce sont 36% des collaborateurs recrutés qui ont quitté l’entreprise. Ce chiffre s’élève même à 46% passé les 18 mois, comme le montre le consultant américain Mark Murphy, auteur de « Hiring for attitude » (McGraw Hill Education, 2012). Si l’on considère qu’il faut en moyenne deux ans à une personne pour être à pleine puissance sur son poste, ces chiffres attestent d’une situation particulièrement préoccupante.

Des échecs liés au comportement

Le plus marquant, c’est que dans neuf cas sur dix, ces échecs trouvent leur origine non pas dans l’inadéquation entre les compétences techniques des personnes recrutées et celles qui sont requises pour le poste en question, mais dans des problèmes de comportement.

On peut citer les chiffres avancés par Mark Murphy sur les décalages flagrants entre les valeurs personnelles des individus et celles prônées par les entreprises qui les ont recrutés, l’incapacité des personnes à accepter le feedback (26%), l’inaptitude à comprendre et à gérer ses propres émotions (23%), le manque d’ambition et d’envie d’exceller (17%) ou encore la présence de décalages majeurs entre le tempérament nécessaire pour réussir en poste et celui présenté par les personnes embauchées (15%). La réalité, c’est que seuls 11% des échecs de recrutement sont réellement attribuables à un manque de connaissances ou de compétences purement techniques, lesquelles pourraient d’ailleurs tout à fait être acquises au travers de formations adéquates.

Une évaluation du potentiel des candidats

Pour tenter d’endiguer ce phénomène, de nouvelles formes d’évaluation du potentiel ont récemment émergé. C’est le cas du recrutement prédictif, une forme de sélection qui permet de procéder à des anticipations fiables des capacités des candidats à réussir et à rester en poste, en s’appuyant tout spécialement sur l’évaluation de leur potentiel (lire aussi l’article : « La recherche de talents au 21ème siècle »).

L’originalité de cette forme de recrutement consiste par conséquent à se concentrer davantage sur qui sont réellement les personnes, plutôt que sur leur parcours académique et/ou professionnel. Son adoption grandissante par un nombre d’entreprises en France et à l’international (+240% en 2018) montre qu’il constitue une alternative crédible aux méthodes de recrutement plus classiques, telles que l’analyse de CV ou de profils LinkedIn.

On pourrait considérer que tout acte de recrutement est forcément prédictif par nature. Après tout, recruter revient à « choisir » une personne. Et lorsque cette personne est sélectionnée, c’est parce que le recruteur possède la conviction qu’elle sera à même à fournir de bons résultats une fois en poste. Le problème, c’est que si les recruteurs réalisent effectivement des prédictions – plus ou moins formalisées – celles-ci sont souvent peu fiables. En atteste notamment le nombre d’échecs constatés à six, douze et dix-huit mois. L’intérêt majeur du recrutement prédictif – outre qu’il permet de formuler des prédictions explicites et parfaitement argumentées quant aux capacités de réussite et d’engagement des personnes en poste – est son caractère à la fois objectif et évolutif, car les algorithmes sont régulièrement abreuvés de données.

Les facteurs clés du potentiel comportemental

Lorsque l’on parle de potentiel en recrutement prédictif, il s’agit avant tout du potentiel comportemental. Ce dernier est envisagé comme étant la combinaison de trois facteurs clés : la façon dont la personne pense (ses capacités), ce qui la met en mouvement (ses motivations) et la façon dont elle se comporte au quotidien (sa personnalité).

Ces facteurs sont appréhendés au travers de questionnaires d’une dizaine de minutes chacun et dont l’objectif est de parvenir à une caractérisation fine de l’ensemble des candidats, selon un ensemble de critères prédéfinis. Si ces facteurs doivent être utilisés pour évaluer le potentiel de chacun des futurs candidats, ils doivent l’être également pour définir le profil recherché par l’entreprise. Ce profil recherché est formalisé au travers de ce que l’on appelle un « modèle prédictif ».

Pour bâtir ce modèle, l’une des méthodes les plus couramment employées – et les plus efficaces – consiste à évaluer en interne les personnes qui occupent déjà le poste pour lequel on souhaite bâtir un modèle (sur chacun des trois facteurs clés du potentiel) puis à lier ces caractéristiques par rapport à deux variables : d’une part le niveau de performance effectivement délivrée par chacun des collaborateurs en poste, d’autre part la qualité de son attitude, entendue comme son alignement par rapport à la culture d’entreprise et des façons de faire qui ont cours au sein de l’organisation.

Grâce au rapprochement entre ces deux catégories de données (d’une part « qui sont les personnes », d’autre part leurs résultats et leur attitude au travail), il devient possible d’identifier ce que l’on appelle des « prédicteurs de la performance et de la satisfaction en poste ».

Une expérience candidat renouvelée

Pour les candidats, le recrutement prédictif promet une expérience inédite. Au lieu de transmettre leur CV, il leur suffit désormais de compléter leur profil personnel en répondant aux trois questionnaires.

Le premier, qui s’apparente à un test d’aptitude intellectuelle, permet d’évaluer l’agilité mentale des individus, leur faculté à acquérir rapidement de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences. Le deuxième se concentre sur les motivations des candidats. Il a pour objectif de comprendre les situations qui ont un impact positif sur leur engagement. Le troisième est un questionnaire de personnalité. Il permet d’identifier les comportements que les individus ont tendance à adopter naturellement au quotidien.

Afin de s’assurer que les candidats n’anticipent pas les attentes du recruteur dans leur réponse (par exemple, un commercial qui forcerait le trait sur ses capacités relationnelles ou de persuasion), les algorithmes de traitement des résultats prennent en compte, non seulement les réponses apportées par les candidats, mais également la vitesse à laquelle ces réponses sont choisies. Il est ainsi possible d’évaluer, pour chacune des dimensions de personnalité et de motivation, la spontanéité avec laquelle les réponses ont été sélectionnées.

Une fois leurs profils complétés, ceux-ci sont automatiquement rapprochés du modèle prédictif choisi. A la suite du traitement issu de l’algorithme prédictif, il résulte une projection (prédiction) de chacun des candidats en termes de capacité à réussir en poste, de faculté à s’intégrer et à s’épanouir dans l’entreprise.

Ces derniers sont quant à eux évalués au regard de qui ils sont réellement, quelles que soient les écoles ou universités qu’ils ont fréquentées et/ou les entreprises par lesquelles ils sont passés. Par conséquent, les entreprises qui recourent au recrutement prédictif ont tendance à être plus ouvertes à des profils atypiques et diversifiés. Autre avantage de cette méthode, chaque candidat reçoit automatiquement un retour immédiat sur ses points forts, ses talents ainsi que ses axes d’amélioration éventuels. Ce qui permet aussi aux entreprises de jouir d’une meilleure image employeur (lire aussi la chronique : « Ce qui se cache derrière la marque employeur »).

Des recrutements plus efficaces

Aujourd’hui, les entreprises qui ont adopté le recrutement prédictif constatent des améliorations significatives. Ainsi, une célèbre enseigne parisienne d’un groupe de grands magasins a pu observer une différence de revenus générés par les vendeurs de l’ordre de 11%, entre les vendeurs recrutés à l’aide du recrutement prédictif et ceux recrutés d’une manière traditionnelle, sur la base de leur CV et d’un entretien.

Cela leur a en outre permis de s’ouvrir à des profils beaucoup moins conventionnels (candidats sans expérience préalable en vente, par exemple). L’enseigne a également divisé par deux le nombre d’entretiens réalisés par ses équipes de recruteurs (passant de 2000 à 1000), tout en augmentant d’un quart le nombre de recrutements réalisés en un an. Enfin, le taux de turnover des vendeurs à douze mois est passé de 17% à moins de 9% en tout juste une année. Preuve que le recrutement prédictif est bien synonyme d’efficacité.

Entreprises, votre écosystème est-il le bon ?

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Elargir son périmètre de parties prenantes peut être source de nombreuses opportunités.

Pourquoi nous entêtons-nous à jouer aux devins en cherchant à définir le plan de marche de nos entreprises ? Alors que les écosystèmes dans lesquels ces dernières évoluent sont devenus instables, les outils d’analyse et d’aide à la prise de décision utilisés, et enseignés, auraient-ils perdu de leur efficacité ?

Tous ont en commun de considérer une activité donnée, de fixer des objectifs et de définir les moyens pour y arriver. Dans cette optique, ils rationalisent davantage l’action qui conduit au but que le choix du but lui-même. Et si notre scénario ne se réalise pas ? Si malgré tous nos efforts, l’objectif défini n’est pas le bon ? Dans ce cas, nous sommes amenés à remettre en cause le modèle mental que nous avions élaboré pour tenir compte des surprises. Ces dernières proviennent souvent d’activités connexes dont les impacts n’ont jamais été envisagés. Par exemple, quel serait l’impact sur la filière nucléaire d’une nouvelle génération de batteries ouvrant la possibilité d’une autoconsommation d’électricité produite localement ?

Observer son périmètre élargi

Un premier pas vers une évolution des pratiques serait un changement de logique : aujourd’hui, nous cherchons à voir loin dans le temps (logique de prédiction). Il s’agirait plutôt de voir encore plus loin en considérant davantage d’éléments interagissant avec l’activité (logique d’interaction). Autrement dit, élargir le périmètre des impacts de l’entreprise sur son environnement, et réciproquement. Pour cela, il faut reconsidérer les frontières de l’écosystème d’affaires pour tenir compte d’autres parties prenantes bien réelles et trop souvent ignorées. C’est ce périmètre élargi qu’il s’agit de surveiller. En effet, ce sont de ces périphéries que peuvent naître des opportunités ou des menaces.

Par exemple, une entreprise comme Blackberry n’a pas su s’inscrire dans l’écosystème visant à gérer l’interaction entre l’humain et la machine. Son activité s’est limitée à la communication directe entre individus. Pourtant elle possédait déjà un système de type plateforme qui la prédisposait à élargir son activité. N’ayant pas su le reconnaître, elle a laissé Apple redéfinir l’interaction que nous avons avec la technologie et l’utilisation que nous faisons des smartphones.

Créer une fonction en charge des périphéries

Plus concrètement, la création d’une figure, responsable de ses périphéries, pourrait être envisagée comme une première action vers une entreprise plus à même de réduire l’incertitude. Déjà en 1979, Charan et Freeman introduisaient dans un article intitulé « Stakeholder negotiations: Building bridges with corporate constituents » de la Management Review, l’idée d’un « stakeholder manager » (manager des parties prenantes), que nous reprenons ici mais dont nous élargissons la portée.

En effet, selon ces auteurs, les parties prenantes existent et sont identifiées (ou facilement identifiables), et leurs préoccupations doivent être traitées en fonction de leur pouvoir, de l’urgence de leurs demandes et de l’importance de leur bonne volonté concernant la survie de l’entreprise. Cela nous semble très insuffisant. En effet, élargir cette notion permettrait d’inclure des relations nouvelles. Ce qui permettrait de faire face à deux situations fréquemment rencontrées :

  1. les acteurs croient se connaître mais ne se connaissent pas ;
  2. les acteurs n’ont pas été identifiés et ne savent pas encore comment leurs enjeux interagissent mutuellement.

Dans les deux cas, c’est par l’exploration qu’il est possible de découvrir quels sont les intérêts communs et d’agir ainsi en conséquence (lire aussi l’article : « Comment obtenir l’adhésion de tout l’écosystème »).

Partager le bénéfice des coûts évités

Pour illustrer le premier cas, imaginons qu’une agence de communication a pour habitude de produire des plaquettes promotionnelles pour ses clients. Elle ne se soucie pas nécessairement de la quantité réellement utilisée, si bien qu’à la fin d’une campagne de publicité, des documents produits en excès sont jetés. Ceci représente un coût pour le client et pour l’agence qui les a produits. Au lieu de fabriquer et de livrer en une seule fois, l’agence pourrait s’intéresser au budget publicitaire de son client en livrant progressivement selon les besoins réels, puis en partageant à part égale le bénéfice des coûts évités.

Illustrons aussi le deuxième cas correspondant à la situation de partenaires ou de clients potentiels d’une nouvelle entreprise. Prenons le cas fictif d’un entrepreneur ayant conçu un robot permettant de poser plus facilement et rapidement des voies ferrées (lire aussi la chronique : « Entrepreneuriat : et s’il suffisait de ne pas définir a priori son but pour réussir ? »). Si l’écosystème retenu par l’entrepreneur est celui relatif à la pause et à la maintenance des voies, il va donc solliciter les prestataires exécutant les travaux ferroviaires. Ce faisant, il ignore l’exploitant qui fait circuler les trains. Or ce dernier pourrait pourtant devenir le client principal, étant donné la réduction du temps nécessaire aux réparations que permettraient le robot. Cette situation n’est pas spécifique à la création d’une entreprise et peut aussi se produire dans le cas d’une entreprise existante, devenue trop coutumière d’un périmètre d’activité donné.

Changer les habitudes

Notre figure de manager des parties prenantes serait chargée de surveiller les effets induits des activités de l’entreprise dans son écosystème redéfini et nécessairement élargi, de reconnaitre les changements qui pourraient se transformer en opportunités et de les concrétiser en partenariat. Cependant, la réussite et l’efficacité de la mise en place de ce type de poste dépend de l’engagement de l’organisation à changer ses habitudes. Cela nécessite un dirigeant très entreprenant. Il faut aussi le relais d’intrapreneurs, c’est-à-dire de toute personne de l’organisation intéressée par ce qui n’est pas encore et qui pourrait être, avec une redéfinition et un élargissement des bénéficiaires.

Plus l’entreprise est perçue comme utile, meilleure est sa réputation

A quoi sert votre entreprise ? Quel rôle a-t-elle dans la société ? Crée-t-elle de la valeur pour les citoyens ? Si vous ne trouvez pas de réponse satisfaisante à ces questions, il est urgent de repenser votre stratégie de communication. Selon une enquête récente de l’IFOP pour Terre de Sienne, l’utilité sociale d’une entreprise influe en effet très fortement sur sa réputation.

Le rôle de l’entreprise dépasse largement son propre business. Les Français perçoivent en effet désormais l’entreprise non plus comme un simple acteur économique, mais comme un véritable recours pour la société. Ils sont 60% à penser qu’elle est plus utile que l’Etat, et 51% à juger que son rôle est d’abord d’être utile à la société dans son ensemble, avant ses clients (34%), ses collaborateurs (12%) ou ses actionnaires (3%).

C’est économiquement peu orthodoxe, mais symboliquement très révélateur. De la même façon, les Français, tous bords politiques confondus, considèrent le dirigeant de PME (88%), comme la figure la plus utile à la société, devant le P-DG de grand groupe (62%), et loin devant le responsable politique (16%), dont la mission est pourtant de servir l’intérêt général.

Précisément, qu’est-ce que les Français considèrent comme une entreprise « utile à la société » (lire aussi la chronique « La bienveillance, nouveau levier de performance pour les marques? » ? Une entreprise qui crée de l’emploi, bien sûr (84% des réponses), mais aussi qui fait progresser l’innovation et crée du lien social (37%). Participer au rayonnement de la France ou défendre une grande cause ne sont pas des engagements prioritaires pour le grand public.

Au passage, les start-up sont jugées aussi voire plus utiles (77%) que les grandes entreprises. Et si on demande aux Français ce qu’ils jugent être une entreprise « utile pour ses clients » ? La réponse est : pas uniquement une entreprise qui leur fait gagner du temps (45% des réponses) ou de l’argent (25%), mais qui propose d’abord des produits innovants (60%). Pour le grand public, progrès social et innovation sont donc indissociables de la notion d’utilité (lire aussi la chronique « Trois questions clés pour innover de façon responsable« ).

Les 5 enseignements du palmarès des entreprises les plus utiles

Ce rôle social et innovant de l’entreprise se retrouve en filigrane dans le palmarès des entreprises françaises les plus utiles, également réalisé par l’IFOP pour Terre de Sienne. Premier enseignement : sur le podium, on retrouve … trois groupes publics : La Poste, SNCF et EDF, entreprises qui assurent une mission d’intérêt général ancrée dans le quotidien des Français (et qui ont aussi longtemps bénéficié d’un monopole, certes). Deuxièmement, le top 20 retrace l’histoire de France du progrès économique et social : une douzaine de fleurons industriels (Michelin, Peugeot, Renault, Orange, Total, Danone, Engie, Sanofi… et même Airbus et Saint-Gobain, pourtant des groupes ayant une activité BtoB), la grande distribution (Leclerc, Leroy-Merlin et Carrefour) et deux représentant de la « french tech » (BlaBlaCar et Le Bon Coin).

Troisième leçon, justement, la présence de ces deux start-up de 10 ans d’âge, considérées par les Français comme aussi utiles que Saint-Gobain, 350 printemps : en général, la perception d’utilité s’acquiert avec le temps, mais ces deux start-up se sont imposées plus rapidement, parce qu’elles ont répondu de manière innovante à un besoin jusqu’alors insatisfait, en communiquant de manière transparente et authentique.

Quatrièmement : le secteur bancaire. Pourtant essentiel à l’économie, on le retrouve un peu plus loin dans le classement (au-delà du top 20), les banques coopératives et mutualistes (Crédit Agricole, 24ème, et Crédit Mutuel, 25ème) étant considérées comme étant plus utiles que leurs consœurs BNP Paribas ou Société Générale (respectivement 31 et 35ème). Enfin, Yves Rocher devance d’une bonne longueur les autres marques de cosmétiques : sans doute parce que la marque est historique, familiale, et positionnée depuis longtemps sur la beauté accessible, naturelle et responsable.

Le Saint Graal : allier image ET utilité

Pour pousser le raisonnement jusqu’au bout, un classement combiné a été établi des entreprises qui « ont une bonne image » ET « sont considérées comme utiles ». Le top 5, cette fois, est composé de Michelin, Leroy-Merlin, Leclerc, Airbus et Peugeot : des groupes connus pour être centrés sur l’usager et ses besoins, et positionnés sur la proximité, l’authenticité et l’ancrage territorial. Le top 10, lui, est composé en majorité d’entreprises familiales, le modèle le plus vertueux et responsable aux yeux des Français.

Y a-t-il une corrélation entre ces deux notions d’image et d’utilité ? Oui : en moyenne sur la cinquantaine d’entreprises du palmarès, moins de 10 points séparent ces deux critères. Exceptions notables : la Poste, EDF et la SNCF, reléguées dans le classement à cause de leur « décote » d’image… mais celles-ci restent tout de même dans le top 20 du classement combiné. Leur capital utilité les protège en quelque sorte des polémiques qui naissent régulièrement à leur sujet.

 C’est même la véritable conclusion de cette enquête : l’utilité perçue est un capital puissant qui contribue à protéger la réputation de l’entreprise (au-delà de la seule image de marque). Être considérée comme utile la rend difficilement substituable, quand ce n’est pas incontournable, aux yeux des Français. Dans leur communication, les entreprises doivent donc d’abord chercher à identifier à quoi elles peuvent être utiles, pour leurs parties prenantes et plus largement pour la société toute entière. Puis valoriser cette utilité en adoptant une posture authentique, au service de l’intérêt général autant que de leur propre business.

 

Ne gaspillez plus votre argent dans le team building

Inutile de dépenser des sommes pharamineuses dans des séminaires sous les tropiques. Pour améliorer le travail en équipe, il faut partir des motivations de chacun.

La plupart des activités de team building ne font que vous faire perdre votre temps et votre argent. Après plus de vingt-cinq années de pratique et d’études du travail d’équipe efficace – dont dix-sept au sein de Mars Inc., une entreprise familiale au chiffre d’affaires annuel de 35 milliards de dollars, déterminée à promouvoir la collaboration – c’est la conclusion à laquelle je suis parvenu. Quand elles décident d’investir dans le team building, beaucoup d’entreprises optent pour des activités en extérieur, comme des soirées bowling ou des parcours accrobranches.

Parfois, celles-ci sont particulièrement sophistiquées. Un responsable marketing ventes m’a ainsi raconté qu’une fois, lui et vingt autres de ses collègues ont pris l’avion pour Londres où ils ont été logés dans un très bel hôtel et où un groupe de Maoris néo-zélandais leur a appris à faire le haka, une danse traditionnelle. Cet exercice était censé promouvoir l’esprit d’équipe, souder le groupe et, par extension, améliorer la collaboration. Au lieu de cela, les participants se sont sentis gênés et l’expérience les a rendus plus cyniques que jamais. Quelques mois plus tard, la division en difficulté a été vendue.

Les nouveaux liens s’estompent avec le temps

Mars n’a pas échappé à cette mode. Avant de nous appliquer à étudier la collaboration en profondeur, nous aussi nous sommes adonnés à ce genre d’activités (lire aussi la chronique : « Comment organiser des séminaires qui soient enfin efficaces »). Une fois, nous avons ainsi dépensé plusieurs milliers de dollars dans la location d’un orchestre pour qu’il passe une heure avec un groupe de dirigeants chevronnés dans le cadre d’une retraite d’entreprise et les aide à travailler ensemble, en harmonie. La métaphore était plaisante et l’expérience intéressante. Mais elle n’a en rien changé la façon de collaborer de ces leaders. Ce genre d’événements peut peut-être rapprocher les individus pour un temps ; des émotions partagées peuvent souder les gens. Mais ces liens ne résistent pas aux pressions quotidiennes d’une organisation axée sur la performance.

En 2011, les dirigeants seniors des ressources humaines de Mars, dont je faisais partie, ont décidé d’étudier le personnel partout dans le monde pour tenter de comprendre comment maximiser l’efficacité d’une équipe. Les recherches que j’ai menées ont montré que la plupart des choses que nous – et les autres – croyions au sujet de la façon dont on soude une équipe étaient fausses. Surtout, nous avons appris qu’une collaboration de qualité ne commence pas par des liens et de la confiance, mais par l’attention prêtée aux motivations individuelles.

L’inertie collaborative est trop souvent la norme

Pour nos recherches, nous avons recueilli des données auprès de 125 équipes. Des centaines d’individus ont répondu à des questionnaires et ont été interviewés. Entre autres choses, nous avons demandé aux participants dans quelle mesure les priorités de leur équipe leur semblaient claires, quels étaient leurs objectifs et ceux des autres membres du groupe, ce qui les rassurait et ce qui les inquiétait le plus. S’il y a un message qui résume bien ce qu’il faut retenir de ces entretiens, c’est celui que nous a livré l’un des participants : « J’apprécie vraiment et j’ai de l’estime pour les autres membres de mon équipe. Et je sais que nous devrions collaborer davantage. Sauf qu’on ne le fait pas. »

Les questionnaires ont montré qu’avant tout, chacun avait une vision claire de ses objectifs individuels et se sentait pleinement responsable du travail qu’il devait accomplir. Pour approfondir nos recherches, nous nous sommes ensuite tournés vers une autre source de données ; plusieurs années d’enquêtes à 360 degrés menées en interne chez Mars auprès du management. Les deux forces principales identifiées dans ces études étaient « tourné vers l’action » et « guidé par les résultats ». L’image se précisait : Mars regorgeait d’individus qui aimaient plus que tout se consacrer à des tâches et à des responsabilités dont ils pouvaient se prévaloir. Autrement dit, à du travail qu’ils maîtrisaient à la perfection et qui donnait des résultats sans qu’ils aient besoin de collaborer avec qui que ce soit. Et pour couronner le tout, leur supérieur hiérarchique et le système d’évaluation des performances les confortaient dans ces attitudes.

Des bénéfices à coopérer jugés abstraits 

Manifestement et de façon ironique, leur incapacité à collaborer découlait de leur excellente maîtrise des tâches qu’ils avaient été recrutés pour mener à bien et du renforcement de cette recherche d’excellence par le management. À côté de cela, la coopération n’était qu’un objectif vague, sans fonctionnement ni règles explicites. Pire encore, c’était perçu comme quelque chose de brouillon, qui diluait les responsabilités et offrait peu de récompenses concrètes. À partir du moment où nous avons compris cela, nous avons développé un cadre pour rendre la collaboration claire, spécifique et attractive – pour donner aux employés envie de coopérer. Deux questions à poser aux équipes se trouvent au cœur de ce modèle. La première : en quoi leur collaboration est-elle primordiale pour atteindre leurs objectifs chiffrés ? La seconde : quel travail, quelles tâches spécifiques requièrent de la collaboration pour atteindre ces objectifs ?

S’accorder sur des objectifs communs

Début 2012, nous avons eu l’occasion de tester notre cadre de travail avec l’équipe dirigeante de Mars Petcare en Chine. Durant deux jours, nous avons posé nos questions et précisé nos demandes. Nous avons passé la première journée rien qu’à nous débattre avec les réponses aux deux questions principales que je viens d’évoquer. Tout d’abord, les participants se sont montrés perplexes et frustrés : que voulais-je dire par « constituer un élément primordial pour atteindre ses objectifs business » ? Nous avons donc reformulé la question ainsi : pourquoi le fait de travailler ensemble, en équipe, apporte plus de valeur que la somme des efforts individuels ? Ce qui a lancé la discussion et, durant trois heures, nous avons débattu de ce que signifiait « objectif d’équipe ». Les participants sont finalement tombés d’accord pour dire que leur but était de promouvoir le développement personnel et le déploiement de la nouvelle stratégie à tous les niveaux de l’entreprise.

La deuxième question, celle concernant les éléments spécifiques exigeant une collaboration, a beaucoup prêté à débat. Un dirigeant en particulier pensait qu’il avait avant tout besoin qu’on le laisse tranquille, que rien de ce dont il était responsable ne devait impliquer qui que ce soit d’autre que lui-même. Les échanges ont été vifs, mais ses collègues ont fini par le convaincre. Pour terminer, nous avons classé les projets de l’entreprise soit dans la catégorie de ceux qui pouvaient être menés à bien par des individus seuls, soit dans celle de ceux qui bénéficieraient d’un travail collaboratif (lire aussi l’article : « Surcharge collaborative »).

Allier engagements collaboratifs et performance individuelle

Le deuxième jour a été consacré à la notion de responsabilité. Les participants sont tombés d’accord pour intégrer leurs engagements collaboratifs à leurs objectifs de performance individuels. Puis, ensemble, ils ont dressé la liste des comportements qu’ils attendaient les uns des autres en soutien à ces engagements et se sont mis d’accord sur la manière dont ils seraient évalués sur cette question. (A un moment, le débat a dévié sur la typologie Myers-Briggs, mais au bout d’un quart d’heure, ils m’ont demandé de le recentrer sur la façon dont ils allaient coopérer à l’avenir, ce que j’ai trouvé remarquablement éloquent.) Nous avons fini par l’élaboration d’un plan détaillant les moyens de faire perdurer les progrès accomplis ensemble durant ces deux journées.

Au cours de l’année qui a suivi, j’ai discuté plusieurs fois avec le directeur général de Mars Petcare China. Lors de notre dernier entretien, il m’a appris que l’entreprise avait globalement crû de 33 % – une réussite remarquable – tandis que leur marque leader de nourriture pour chiens avait bondi de 60 %. C’était la première fois en huit ans qu’ils avaient atteints les objectifs financiers fixés par la maison-mère. Dans quelle mesure notre travail avait-il contribué à ces résultats ? « Massivement », m’a répondu le directeur général. L’équipe avait concentré ses efforts de coopération sur les éléments qui pesaient le plus sur les objectifs qu’elle s’était donné. La conscience qu’ils avaient de leur responsabilité partagée dans cette entreprise commune, fondée sur les accords qu’ils avaient eux-mêmes fixés, avaient décuplé la productivité de leur travail collaboratif. Chez Mars, nous avons appris qu’afin que les gens se décident à coopérer, il fallait d’abord qu’ils voient d’eux-mêmes comment cela améliorerait les résultats.

Plus tard en 2012, nous avons officiellement déployé notre cadre de travail finalisé et testé en l’intégrant à un programme complet de développement du management. En l’espace de deux ans, toute l’entreprise connaissait le Cadre Collaboratif Haute Performance de Mars (Mars High Performance Collaboration Framework). Tant la confiance que des relations étroites comptent pour pouvoir collaborer, mais cela n’en constitue pas le socle. Elles découlent plutôt de la poursuite d’un but commun par un groupe d’individus résolus. Parvenir à lier la volonté de coopérer aux motivations d’individus tournés vers le succès, voilà la clé d’un travail collaboratif fructueux.

Il est temps d’arrêter de former les managers

La formation des cadres se concentre aujourd’hui sur le savoir-faire, alors que c’est la pédagogie du savoir-être qui suscite l’engagement et qui stimule l’efficacité des équipes.

Quand on lui parlait de son activité de professeur de littérature, le grand écrivain américain récemment disparu, Philip Roth, répondait : « Cela consiste à enseigner ce qui ne peut pas s’apprendre. » Et il savait de quoi il parlait, lui qui, pendant plus de trente ans, a écrit chaque jour sans relâche pour parfaire ses manuscrits dans les moindres détails, toujours en proie au doute malgré son talent et son succès. Sa formule est bien sûr ironique, mais, comme tous les traits d’esprit, elle a une part de vérité. On peut aisément la prolonger, l’adapter au monde de l’entreprise et, plus particulièrement, à la mission de manager. Combien d’heures passées en formation de « management », de « leardership » ou encore de « team building », pour finalement arriver à la même conclusion fataliste que Philip Roth : « La formation des managers ? Cela consiste généralement à enseigner ce qui ne peut s’apprendre. » Il n’est bien sûr absolument pas question d’abandonner les managers à leur sort, mais plutôt de former autrement.

De la tension à l’attention

Aujourd’hui, la plupart des programmes de formation se concentrent sur l’acquisition d’un « savoir-faire » de manager. On enveloppe la démarche dans le cadre d’un escape game, en « mode participatif », mais le but ne change pas : acquérir un certain nombre de recettes qui, paraît-il, seraient applicables sur tous les terrains. La déception ne se fait pas attendre, tant pour celui qui suit la formation que pour celui qui la finance.

L’erreur consiste à tout miser sur le savoir-faire alors que la clé du management d’aujourd’hui réside en grande partie dans le savoir-être. Or le savoir-être ne « s’apprend » pas comme une leçon ou une recette, il se ressent, se construit peu à peu, puis s’applique au quotidien. Il passe par une meilleure compréhension des attentes et du rôle de chacun, par une capacité de remise en question personnelle. Il s’agit dès lors de passer de la tension – si souvent pointée du doigt par les collaborateurs – à l’attention, notion décisive pour instaurer un mode de management au service de la performance collective. Ce « care », déterminant aussi bien dans le rapport avec le client que dans l’animation d’équipe, est une affaire de cœur, pas de « recettes ». Pour autant, il ne consiste pas à écouter les plaintes ou les griefs de chacun, plutôt à identifier les forces et les talents, à créer les conditions de l’engagement des équipes.

C’est pourquoi, aujourd’hui, la formation des managers doit se concevoir avant tout comme une dynamique collective et horizontale, en opposition à une logique personnelle (centrée sur la carrière de chacun) et « top-down ». Elle est l’occasion de faire émerger du sens et de la cohésion pour l’ensemble des managers, en approfondissant plusieurs règles d’or : édifier une véritable tribu (avec des liens solides, des us et coutumes qui dépassent le simple échange d’e-mails quotidien ou les moments de reporting), par exemple, ou encore développer le pouvoir d’agir des collaborateurs, donner du sens à leur travail, apprendre à témoigner de la reconnaissance… Autant de dimensions qui visent un même but : décupler l’implication, la vraie, celle qui crée, sur le moyen et le long terme, de la valeur pour tous.

Du manager au leader

Ce passage du « savoir-faire » au « savoir-être », souvent mis en œuvre dans la relation client, mais plus rarement au sein des équipes, va de pair avec une redéfinition du rôle de manager, qui devient un leader. Le manager est positionné comme tel par l’organisation de l’entreprise, c’est une émanation naturelle de l’organigramme. Le leader, lui, tient sa légitimité des autres, de ceux qui travaillent avec lui chaque jour et lui reconnaissent ce titre.

Une anecdote nous semble illustrer parfaitement ce basculement. En mai 1968, les étudiants révoltés se dirigent vers le Plaza Athénée, symbole, selon eux, du luxe qu’ils combattent. Une « surprise » les y attend : les 500 employés du palace se sont organisés pour leur bloquer l’entrée. Pourquoi ? Quelques mois plus tôt, le directeur de l’hôtel avait visité la cantine et avait découvert que les équipes de direction déjeunaient dans une pièce alors que les autres collaborateurs mangeaient, plus loin, derrière un mur. Il avait alors demandé qu’on lui amène une masse pour abattre ce mur. Le symbole illustrait parfaitement sa vision du travail en équipe, et a fait de lui un leader reconnu plutôt qu’un manager imposé.

Nouveaux dirigeants : méfiez-vous des bons résultats immédiats

Même s’ils sont à votre portée, ne partez pas en chasse de résultats positifs immédiats, avant d’avoir réellement pris le temps de consolider votre leadership.

Aussitôt entré en fonction à un poste clé d’une entreprise qui doit sérieusement changer sa manière de travailler, la pression monte : on attend de vous des résultats. Paradoxalement, la meilleure façon d’y parvenir est de prendre son temps. Les forces qui poussent dans le sens inverse – celui de la vitesse effrénée – sont cependant puissantes. Vous devez prouver, et vite, que vous êtes le leader qu’il faut, capable de redresser la situation de l’entreprise. C’est pour cela que vous avez été recruté.

Vous vous concentrez donc sur les points faibles les plus aisément réformables en apparence : côté coût, peut-être s’agira-t-il d’accélérer un des processus de production et, côté revenus, ce sera peut-être la force de ventes qu’il faudra muscler. Cependant, se précipiter sur des solutions immédiates, même dans des domaines qui ne prêtent pas à controverse, peut se révéler hasardeux. Pourquoi ? Parce que lorsqu’un nouveau dirigeant débute dans son poste, les changements ne s’expriment pas seulement en en termes d’efficacité ou de revenus ; mais aussi de sentiments de vulnérabilité et d’incertitude des employés quant à leur avenir.

Peu importe le niveau de maturité et de sophistication du nouveau dirigeant, se précipiter sur des résultats immédiats peut le priver de la connaissance nécessaire à la compréhension de la culture et à l’établissement de bonnes relations de travail. En conséquence, les gains rapides pourront sous peu se voir réduits à néant ou générer de nouveaux problèmes de management. Prendre son temps de manière délibérée permet de comprendre ce que désirent avant tout les gens qui vous entourent, les effets de votre comportement, les points de résistance et les ramifications de vos décisions. Résultat : vous contrôlerez d’autant mieux le rythme de votre transition vers de nouvelles responsabilités managériales et celui de votre entreprise vers un nouveau mode de fonctionnement (lire aussi la chronique : « Etre un bon leader, une question de tempo »).

Le nouveau manager qui part sur les chapeaux de roue

Pour vous donner un exemple de l’importance de contrôler le tempo, prenons le cas d’un manager que je nommerais Greg. Bien que talentueux et compétent, il s’est laissé prendre au piège d’un cercle vicieux d’activités au sein de la grosse entreprise de biens de consommation qui venait de l’embaucher comme directeur des opérations. Il était alors présumé successeur du P-DG, qui allait partir à la retraite dans deux ans.

Greg a retroussé ses manches et s’est mis à travailler comme jamais, se mettant la pression ainsi qu’à toute l’organisation. Pour se montrer réactif, il a pris connaissance de toutes les présentations disponibles et répondait tout de suite aux e-mails reçus. Pour se montrer accessible, il disait oui à toutes les demandes de réunion et d’entretien impromptu en tête-à-tête. Toutes cela lui prenait du temps, mais il voulait faire tout son possible pour prouver au conseil d’administration – ainsi qu’à ceux devant qui il était passé dans l’entreprise – qu’il était le prochain P-DG qu’il leur fallait.

Attention aux apparences trompeuses

Ses projets visaient à redéfinir la chaîne logistique pour permettre à la fois d’économiser des sommes importantes et de raccourcir les délais. Il voulait aussi monter une nouvelle structure qui accélère la prise de décision, accroisse la flexibilité et améliore le processus de création de nouveaux produits. Les managers ronchonnaient et le P-DG ne semblait pas aussi enthousiaste qu’il aurait dû, mais Greg se disait que ce n’étaient que les conséquences d’une inévitable résistance au changement. De toute façon, peu importait : les gens suivaient ses plans ainsi que les directions données et les résultats étaient au rendez-vous.

Pour être sûr d’être bien compris, il avait en outre l’habitude de recourir à une approche en deux temps, chaque demande de sa part étant suivie d’un « maintenant-je-vous-explique-ce-que-j’ai-voulu-dire ». Et cela marchait : ses subordonnés l’écoutaient, acquiesçaient et se montraient rarement récalcitrants. Après seize mois en poste, alors qu’il préparait son entretien d’évaluation, Greg se demandait quel serait le montant de son bonus et à quel moment il serait nommé P-DG. Au lieu de ça, il s’est entendu dire que le P-DG actuel resterait en poste jusqu’à ce que le directeur financier soit en mesure de lui succéder, et qu’on lui laisserait la possibilité de donner sa démission. Certes, les changements qu’il avait mis en place avaient amélioré les performances de la société, mais il s’était montré incapable de gagner ses collègues à sa cause, son style étant incompatible avec la culture d’entreprise.

Greg a appris à ses dépens que les dirigeants échouent rarement à cause de problèmes stratégiques ou opérationnels, mais parce qu’ils n’ont pas vraiment conscience de ce qu’ils sont et gèrent mal leurs relations à autrui. En mettant les gaz, Greg a mal interprété les réactions du P-DG et raté les signaux indiquant que ses subordonnés directs voyaient dans sa véhémence le signe qu’il cherchait une promotion plutôt que de les aider eux ou l’entreprise. Son comportement ne laissait pas place au feedback et lui a coûté le soutien nécessaire au succès. Enfin, sa technique de communication en deux temps – une demande suivie d’une longue explication – s’est retournée contre lui : les gens ont vite compris qu’il ne leur fallait ni poser de questions, ni donner leur avis, ni être créatifs (lire aussi l’article : « Vos salariés peuvent-ils vraiment s’exprimer librement ? »).

Comment mettre la pédale douce lorsque l’on occupe un poste survolté

Dans « Système 1 /Système 2 : Les deux vitesses de la pensée » (Flammarion, 2012), le psychologue Daniel Kahneman étudie la complexité du jugement et soutient que l’existence de différents tempos dans la prise de décision est utile, car elle nous permet de mieux répondre aux défis qui se posent à nous. Alors que les décisions liées au combat/à la fuite/au besoin de se figer doivent être intuitives et rapides, les actions complexes qui demandent mûre réflexion doivent être prises en prenant son temps et de façon délibérée.

Pour pouvoir construire des alliances, un nouveau manager doit prendre conscience qu’à ce niveau de poste, un passage de témoin est anxiogène pour tout le monde. Les employés se demandent en quoi ce que l’on attend d’eux va changer tandis que les autres cadres dirigeants s’interrogent sur l’effet que cette nomination aura sur l’assise de leur pouvoir. Il faudra des mois à l’impétrant pour apaiser les craintes et gagner la loyauté de ses équipes, une réalité qui s’impose même aux leaders promus en interne et donc déjà connus.

Les subordonnés suivront leur chef s’ils peuvent compter sur lui. Mais plus que sa détermination, c’est sa faculté de discernement face à des défis complexes et lourds qui importe. Les fidèles veulent que leur leader écoute leurs idées, les incorpore aux siennes et soit capable de résoudre les difficultés avec doigté. Toutes choses qui impliquent de contrôler ce qui se passe et de prendre son temps. Certaines techniques que l’on peut classer en cinq catégories permettent d’atteindre ces objectifs : contrôle du flux, réflexion, répétition, remise en question et gestion du silence.

1. Contrôle du flux. Parce qu’un nouveau dirigeant hérite du système de gestion de son prédécesseur, l’inadéquation entre le rythme de la nouvelle direction et l’ancien style de prise de décision peut freiner les progrès vers les premiers succès. Gérer le flux d’information qui entre dans votre bureau et votre cerveau est essentiel pour pouvoir bien juger les questions les plus importantes. Une condition aisément remplie à l’aide d’un simple ajustement organisationnel : la création d’un poste d’assistant senior, l’équivalent d’un chef de cabinet, chargé de s’assurer que la bonne information vous parvient au bon moment et dans le bon format.

2. Réflexion. Contrôler le flux devrait libérer du temps pour la réflexion afin que vous puissiez mieux saisir les subtilités des relations et le sens sous-jacent des informations reçues. Il est extrêmement utile d’avoir des conseillers de confiance — tant en interne qu’en externe — dévoués à votre succès et possédant une expertise dans des domaines clés liés à vos projets. S’il n’y a personne avec qui discuter ouvertement lorsque vous prenez la relève, la meilleure option est de vous parler à vous-même ; c’est là qu’entre en jeu le journal personnel.

Les trois tactiques suivantes aident à contrôler le rythme des interactions.

3. Répétition. Même si vous comprenez parfaitement ce qui a été dit lors d’une réunion ou d’une entrevue individuelle, répétez ce que vous avez entendu. De même, quand vous voulez vérifier que vous avez été compris, demandez à votre interlocuteur de répéter vos propos. En plus de confirmer votre intention, la répétition met momentanément la discussion en pause et vous permet de réfléchir à la suite à lui donner.

4. Remise en question. De temps à autre, posez des questions résumant la situation telles que : « Que venons-nous de faire ? », « Que s’est-il passé ici ? » et « Quelle leçon tirer de cela ? » De telles questions obligent à marquer une pause, évitent de se précipiter sur une décision ou qu’un groupe se forme autour d’une conclusion erronée. Contrairement aux affirmations qui ne demandent que l’écoute des auditeurs, les questions exigent d’eux qu’ils « s’activent », réfléchissent à ce qu’ils vont dire et essaient de comprendre pourquoi leur supérieur hiérarchique leur a fait cette demande.

5. Gestion du silence. Prendre son temps avant de répondre présente un double avantage. Cela donne au dirigeant une chance de peser le pour et le contre et de décider de la meilleure façon de répondre, et cela pousse les autres à s’interroger sur ce qui se passe dans la tête de leur manager, ce qui peut les inciter à penser de manière plus créative.

Toutes ces mesures auraient grandement aidé Greg. Elles l’auraient aidé à ralentir le rythme de ses interactions et de ses décisions, ce qui lui aurait permis de prendre conscience de la manière dont il était perçu et de peser soigneusement les conséquences de ses décisions. Il se serait détaché de l’action et aurait pris un recul suffisant pour mieux juger de la situation. Il aurait été plus susceptible de se rendre compte que la façon dont il avait obtenu ses premiers succès était aussi importante que les résultats eux-mêmes. S’il avait pris son temps, aujourd’hui Greg serait P-DG.

Réinventer l’environnement de travail pour attirer les talents

Dans la Silicon Valley et ailleurs, les entreprises rivalisent de créativité pour optimiser l’organisation de leurs locaux.

Lorsqu’on pénètre dans les locaux de Square, à San Francisco, le regard est aussitôt happé par l’allée monumentale qui s’étire sur toute la longueur du bâtiment. Bordée d’un côté par des box en bois clair et de l’autre par d’agréables salles vitrées, cette avenue moquettée de gris est bien plus qu’un immense couloir. C’est l’épicentre de l’entreprise, un lieu de vie parsemé d’îlots d’activité, une bourdonnante agora où l’on se croise, où l’on se rencontre, où l’on se retrouve. Loin de l’ambiance et de l’organisation de nos bureaux traditionnels, on s’y sent comme dans une ville intérieure, à la fois vivante, inspirante et rassurante. Responsable de cette spectaculaire reconversion d’un ancien data center aveugle, le cabinet Bohlin Cywinski Jackson affirme d’ailleurs s’être inspiré de principes d’urbanisme pour répondre aux attentes de Jack Dorsey, le fondateur de Square et de Twitter : « concevoir des espaces où chacun peut être soi-même, où l’on peut se rassembler, partager des histoires et créer. »

Le quartier général de Square n’est pas une exception dans la Silicon Valley. De l’immense campus du Googleplex à l’étonnant patchwork culturel des locaux d’Airbnb, les bureaux au design atypique, aussi accueillants que déroutants pour le visiteur européen, s’y multiplient. Il serait tentant de n’y voir qu’une compétition futile entre quelques richissimes start-up, mais l’enjeu de cette créativité immobilière débridée est beaucoup plus profond. A San Francisco, les talents sont rares. Et, comme en témoignent les débauchages très médiatisés d’experts de l’intelligence artificielle ou des véhicules autonomes, les acteurs de la tech sont désormais engagés dans une guerre sans merci pour attirer les meilleurs. Leurs luxueux locaux sont autant l’expression que l’instrument de cette concurrence acharnée, qui, incidemment, préfigure le travail de demain.

L’organisation à l’ère de l’immatériel

Toutes les entreprises partagent un même défi : comment s’organiser pour remplir son objectif de production étant donné la force de travail disponible ? Au début du XXe siècle, la problématique des industriels était de faire fabriquer des produits complexes par une main d’œuvre nombreuse mais très peu qualifiée. Diviser les tâches, simplifier les gestes et compenser des règles draconiennes par une rémunération attractive (pour l’époque), telle fut la réponse du taylorisme. Plus tard, avec l’élévation du niveau d’éducation, les entreprises se sont efforcées de tirer parti des nouvelles compétences à leur disposition pour accroître la valeur ajoutée de leurs produits sans pour autant faire exploser leurs coûts. Pour cela, elles ont rationalisé le travail des cols blancs et leur ont donné des éléments de gratification non financiers, comme un bureau personnel ou une voiture de fonction, en accord avec l’idée que l’on se faisait alors de la réussite.

Mais aujourd’hui, tout est de nouveau en train de changer. Dans les produits actuels, la part immatérielle devient prépondérante. Dans l’économie digitale, dont la Silicon Valley est à l’avant-garde, elle constitue même pratiquement toute la valeur. Les coûts marginaux diminuent et, grâce à des outils de pointe, comme l’intelligence artificielle ou l’impression 3D, un seul employé est désormais en mesure de générer une valeur considérable. Il n’est plus nécessaire d’être nombreux : il suffit d’avoir les bonnes personnes. S’attacher les meilleurs talents, les mettre dans les conditions optimales pour qu’ils s’expriment, et les garder, voilà ce que doit désormais viser l’organisation du travail.

Les nouveaux attributs de la réussite

Or la difficulté est que l’autre terme de l’équation a lui aussi évolué. Indépendamment de leur âge, les travailleurs d’aujourd’hui attendent de leur entreprise qu’elle les traite avec les égards auxquels ils sont désormais habitués en tant que consommateurs (lire aussi la chronique : « Du client roi au collaborateur moi ») : de l’attention et de la personnalisation, des services qui facilitent leur vie quotidienne, des outils modernes et adaptés aux tâches qu’on leur demande, et des valeurs de marque qui justifie leur investissement et lui donne un sens. Pour les attirer, les motiver et les fidéliser, il n’est donc plus possible d’utiliser les mêmes ressorts qu’autrefois. Les attributs matériels de la réussite sont passés de mode, voire peuvent s’avérer en contradiction avec les objectifs recherchés. Non seulement un grand bureau ne fait plus nécessairement rêver, mais il n’aurait guère de sens quand le but est de stimuler la collaboration, le partage de l’information, la pollinisation des idées, la mobilité…

Plus que n’importe où au monde, les entreprises de la Silicon Valley sont confrontées à cette mutation concomitante des produits et des producteurs, et donc les premières à devoir y répondre. En réinventant l’espace de travail, mais aussi le management et les services qu’elles proposent à leurs salariés (crèches, restauration à toute heure, conciergerie…), toutes cherchent à bâtir l’environnement de travail optimal pour recruter les meilleurs cerveaux, condition sine qua non de la réussite à l’ère digitale.

Une expérience de travail unique

Toutes ces entreprises étant très proches à tous points de vue, et confrontées aux mêmes enjeux, on pourrait s’attendre à y trouver une certaine uniformité, révélatrice de « bonnes pratiques » émergentes. Au contraire, sitôt franchi le seuil de leurs locaux, une ambiance et une personnalité particulières se ressentent. Du mobilier à la conduite des projets, du smartphone professionnel au menu de la cafétéria, tout est conçu pour faire écho à la culture et les valeurs propres à l’entreprise. La résonance entre tous ces ingrédients crée pour les collaborateurs une expérience de travail unique, jamais tout à fait similaire à ce qu’ils trouveraient ailleurs. Ainsi, tous celles et ceux qui s’y reconnaissent s’y sentent les bienvenus, s’y épanouissent, y donnent le meilleur d’eux-mêmes et n’ont guère le désir de quitter ce qui devient pour eux une seconde famille, exigeante mais attentionnée et protectrice.

Ce nouvel âge du travail qui émerge dans la Silicon Valley se présente ainsi comme un néo-paternalisme high-tech fondé sur la personnalisation holistique du cadre professionnel. Et parce qu’elle procède d’enjeux économiques et sociétaux qui sont aussi les nôtres, cette mutation – idyllique pour les uns, insidieusement tyrannique pour les autres – est désormais aux portes des entreprises du monde entier. En revanche, elle s’y exprimera nécessairement de façon différente. Importer des pratiques typiquement américaines n’aurait en effet aucun sens alors que l’objectif est au contraire de faire converger la culture des collaborateurs et celle de l’entreprise vers une identité commune. La Silicon Valley ne donne que les principes, pas le mode d’emploi. Pour gagner la bataille des talents, il incombe à chacun d’inventer son propre modèle.

Le DRH, premier acteur de la transformation digitale ?

Bien que le digital soit partout, opérer une transformation digitale digne de ce nom est un projet de longue haleine pour les entreprises, qui implique tous les niveaux. C’est pourquoi le DRH doit être en première ligne.

Le déferlement d’initiatives propres à accélérer la transformation des entreprises aboutit parfois à nommer toute une série de nouveaux responsables : les CDO en premier lieu, les data-scientists, les AI managers, les scrums master ainsi que les désormais fameux DPO (Digital Privacy Officers), qui vont avoir la lourde charge de rendre l’entreprise conforme au RGPD, le nouveau règlement européen en matière de données privées.

Il est rare que l’attention se porte donc sur le Directeur des ressources humaines comme facteur de la transformation digitale. Au cours des décennies passées, l’on s’est habitué à ce que celui-ci soit plus généralement lis à certaines basses œuvres de l’entreprise : gestion des plans sociaux, maîtrise des coûts salariaux, etc. Or, différents travaux (« Digital HR: Platforms, people, and work – 2017 Global Human Capital Trends”, février 2017 ou le livre de Dave Ulrich “Human Resource Champions – The Next Agenda for Adding Value and Delivering”) démontrent que la gestion du capital humain – et donc le DRH – représente un facteur déterminant lorsqu’une entreprise cherche à se transformer. Le baromètre de la transformation digitale – eCAC, que j’effectue chaque année sur les entreprises du CAC40 – montre distinctement que les cinq entreprises les plus performantes depuis 2014 ont toutes investi en ressources humaines dans le cadre de leur transformation. A contrario, trop nombreuses sont celles qui investissent des montants parfois considérables dans des technologies sans que cela ne les transforme en rien dans la mesure où elles ne prêtent qu’une attention secondaire à la gestion et au renforcement du capital humain.

Des compétences de data scientist qui manquent

Il ne faut pas se leurrer : dès à présent, les compétences manquent pour mettre en œuvre les outils digitaux. Yves Poilane, le président de l’école d’ingénieur Telecom Paris Tech, observe que « pour 1500 data-scientists formés au sein des établissements français, la demande du marché est au moins trois fois supérieure ». Ce phénomène est à peu près semblable dans l’ensemble des métiers du numérique, au point que les salaires en sortie des principales écoles de « code » – Epita, 42… – ont désormais rejoint ceux des « Ivy leagues » françaises que sont Polytechnique, Centrale, Les Mines…

En conséquence nombreuses sont les entreprises qui ne parviennent pas à disposer des compétences minimales – quelques développeurs, par exemple – et ne peuvent en apparence initier de transformation sérieuse. Les TPE et PME se trouvent particulièrement dans ce cas de figure, mais cela concerne tout autant les ETI. Cette apparente fatalité n’est cependant pas indépassable, à condition toutefois d’avoir une approche d’ensemble structurée.

Considérer tous les niveaux de l’entreprise

Au préalable on s’assurera de bien connaître les compétences qui se situent déjà dans l’entreprise, car l’on constate que les cartographies effectuées révèlent presque toujours des surprises. Ainsi une grande administration située dans l’est de la France a découvert avec étonnement qu’elle disposait de plus de gens qui maîtrisaient le Python (un code aussi répandu que puissant) à l’extérieur de sa DSI qu’à l’intérieur. Il n’est pas rare non plus que l’on observe que les compétences les plus recherchées soient situées plutôt en bas de la pyramide hiérarchique qu’en haut. Rien de surprenant à cela : ces compétences étant plutôt l’apanage des jeunes générations, il n’est pas anormal qu’elles soient surreprésentées parmi les individus qui ont rejoint l’entreprise le plus récemment. C’est auprès de ces jeunes générations, et plus généralement au sein de divisions et de niveaux hiérarchiques très différents, que l’on identifiera les experts en code, les designers, les leaders de projets agiles… sur lesquels on s’appuiera pour créer un « digital squad », soit un groupe d’ambassadeurs du numérique dont la mission pourrait être d’aider à la diffusion des compétences, de participer à la mise en œuvre de projets innovants et surtout de diffuser de nouveaux référents culturels.

L’entreprise devrait également essayer de chercher à définir quel pourrait être à moyen terme son projet de transformation digitale : souhaite-elle disposer de compétences dans des domaines particulièrement en demande (AI, Blockchain…) ? Car cette question des compétences disponibles en amène d’autres : quel est le référentiel de départ pour cartographier ces expertises ? Quelle place pour les soft skills dans ce référentiel ? Comment maintenir ce référentiel de compétences de dynamique ? C’est là où les talents détectés au sein de l’entreprises peuvent avoir un rôle déterminant sur le projet de transformation digitale, en collaborant avec le top management pour définir ce qu’il pourrait être. Il s’agit donc de co-construire, en limitant autant que possible les jeux de pouvoir entre les strates hiérarchiques, un projet de moyen terme. Cet exercice est salutaire, à la fois d’un point de vue strictement pratique, pour permettre une planification stratégique et opérationnelle, que d’un point de vue humain, en soudant les différents corps de l’entreprise au sein d’un projet qui, à l’instant donné, la dépasse. Or, l’un des objectifs d’un plan de transformation digitale consiste à créer de l’adhésion à l’entreprise, en démontrant aux collaborateurs qu’ils vont avoir une latitude d’action, et donc d’épanouissement, supérieure à ce qu’ils pourraient trouver dans leur quotidien.

Etre attentif à la marque employeur

Dans le même temps, le management doit être attentif à la qualité de sa marque employeur, c’est-à-dire à l’image que l’entreprise renvoie auprès de la communauté des métiers du numérique. Il importe en effet de ne pas négliger les caractéristiques culturelles, plus fortes qu’on le croit, communes à ces métiers digitaux. Ainsi, les codeurs sont attachés à la notion d’ouverture, permise par l’open-source, au fait que l’entreprise dispose d’une politique active à l’égard de l’usage de plateformes spécialisées, comme Github ou StackOverFlow… Nombreuses sont en outre les études qui pointent le fait que les Millenials – ces générations nées avec Internet et après 2000 – sont en demande de sens et souhaitent s’investir dans des entreprises qui adoptent des codes et des modes de travail contemporains. On pourrait penser que dans un monde numérique, ces règles sont encore exacerbées : disposer en tant qu’entreprise d’une identité forte serait évidemment perçu comme un avantage fort. Or, au sein du CAC40, on ne trouve qu’une faible majorité d’entreprises (54,8%) contribuant à des projets open source sur des plateformes de type Github, un marqueur pourtant consubstantiel de la transformation numérique. De même, seules 18 de ces 40 entreprises disposent d’un message « aspirationnel » sur leur page d’accueil, qui évoque une mission qui dépasse leur activité quotidienne et les simples objectifs de profitabilité (œuvrer pour le bien commun, etc.).

Mais plus encore, c’est le modèle de management qui suscite (ou non) l’adhésion de l’entreprise aux principes de la culture digitale : les collaborateurs ont-ils un modèle de fonctionnement en mode projet, avec une autonomie forte, leur permettant par exemple d’avoir des relations directes avec les clients ? Une capacité à faire évoluer par eux-mêmes le cahier des charges du produit sur lequel ils travaillent, à en modifier le prix pour le consommateur et le modèle économique ? Au-delà, le management de l’entreprise est-il prêt à travailler au sein d’un mode projet qui verra un membre du comité exécutif se confronter à un jeune codeur de 22 ans, avec des arguments peut être plus pertinents de la part de ce dernier ? Le fait de préalablement préparer les collaborateurs et plus particulièrement les managers à ces enjeux de reverse mentoring est donc une sage précaution, qui pourra être induite là encore par les ressources humaines. Ces dernières années, les critiques se sont souvent cristallisées sur le comportement des collaborateurs issus de l’école 42 et de ses équivalentes. Décrits comme arrogants et peu compatibles avec la culture des entreprises traditionnelles, certains de ces codeurs ont été remerciés. Si l’on ne peut écarter qu’une partie d’entre eux puissent s’être laissés aller à des postures arrogantes, il est plus probable que la négation de la rupture culturelle entre ce monde qui vient, ses règles et celui qui précède, explique l’échec de l’intégration de ces nouveaux venus. Il est donc nécessaire, au-delà du fait de recruter des compétences digitales, d’utiliser leurs outils, leurs méthodes, de sensibiliser l’ensemble de l’entreprise, ou du moins les individus qui seront directement amenés à travailler avec ces nouveaux venus. Dans la même veine, un facteur symptomatique d’incompréhension concerne l’attribution d’un responsable hiérarchique au « product owner », fonction pivot des groupes de travail dits « agiles » dont l’autonomie est considérée comme un facteur clé de succès, à tel point qu’il est unanimement admis que seul le client final puisse être son patron. Or, les organisations traditionnelles ayant horreur du vide, elles ne peuvent concevoir que des individus n’aient pas de responsable qui vienne superviser de façon étroite le niveau d’avancement du travail à fournir.

Faire circuler les savoirs rapidement

D’une façon générale, il n’est pas inutile de rappeler que les modes projets agiles sont à systématiser car au-delà de leur efficacité et de leur aisance à traiter des contextes de haute complexité, ils ont un avantage qui n’est que rarement mis en avant : leur capacité à faire circuler les savoirs de façon accélérée et à former de façon presque continue les collaborateurs de l’entreprise à l’innovation. Or, dans le monde qui vient, où les cycles d’innovations sont sensiblement accélérés, l’une des caractéristiques des organisations gagnantes, c’est leur capacité à embrasser les nouveautés à un rythme accru, et donc à former leurs collaborateurs de façon efficace, de sorte à non plus subir l’innovation mais à l’initier. Il est à cet égard naïf de penser pouvoir se reposer sur les outils de formation professionnelle tels qu’ils existent. Les entreprises qui se veulent compatibles avec ce monde en accélération doivent s’assurer non plus de la capacité des collaborateurs à se fondre dans l’organisation mais plutôt d’être des forces de contestation positives en mesure de diffuser les nouvelles innovations et de faciliter leur adoption ; le modèle agile étant à cet égard quasiment indépassable.

Bien entendu, des systèmes de formation doivent compléter ces principes. Si les plus grandes entreprises pourront mettre en place des plateformes sophistiquées de formation en lignes, les autres pourront tout aussi bien utiliser les nombreuses ressources qui existent sur le web pour les adapter aux besoins de l’entreprises : Kaggle offre la possibilité de lancer des compétitions en intelligence artificielle, CodeCademy permet de former à tous types de code, Arduino d’apprendre le fonctionnement des systèmes électroniques, etc. Ces plateformes sont largement utilisées, même par ceux qui sont déjà des experts chevronnés. Elles ont le mérite d’être ouvertes, régulièrement mises à jour avec les dernières innovations et de se confronter facilement au réel, c’est à dire de permettre des allers et retours entre la théorie et la pratique. Elles sont des corolaires utiles à un mode projet qui serait largement pratiqué dans l’entreprise.

Intégrer le DRH au comité exécutif

Tous ces éléments montrent bien l’importance des codes culturels et que, contrairement à ce qui est presque systématiquement affirmé, ce n’est pas exclusivement les salaires élevés de la sphère digitale qui empêchent les entreprises traditionnelles de recruter : nombreuses sont les start-up ou projets associatifs qui accèdent à des compétences pointues sans offrir ni salaires stratosphériques ni généreux plans de stocks options. En embrassant simplement les codes du monde qui vient, ils créent les conditions d’une collaboration vertueuse aussi bien du point de vue de l’organisation que de celui des collaborateurs. Cette diffusion culturelle est complexe et ne se fait pas sans heurts. Dans la mesure où elle introduit un ensemble de référentiels nouveaux, elle induit une coordination d’ensemble à laquelle il serait avisé d’impliquer le Directeur des ressources humaines. De façon plus générale, alors que c’est souvent au Chief Digital Officer qu’a été donné le privilège d’accéder au comité exécutif ces dernières années, il serait opportun de considérer d’y adjoindre le DRH, avec pour ce dernier un mandat fortement lié à la transformation digitale. Pouvoir mesurer le nombre de projets qui sont réalisés en mode agile, l’adhésion des nouveaux talents à l’entreprise, le nombre de projets impliquant des initiatives de reverse mentoring ou impliquant de l’open source, l’attractivité de la marque employeur sur la communauté digitale sont autant de facteurs d’analyse du niveau d’avancement de la transformation digitale ; et ceux-ci sont autrement plus pertinents que de disposer d’une application mobile performante d’un lac de données. De même, on a coûtume de dire qu’il est souhaitable que le CDO ait les meilleures relations possibles avec le Directeur des systèmes d’information. Il doit en aller au moins de même avec le DRH.

Ces quatre notions – (i) cartographier les compétences digitales et créer un « digital squad », (ii) définir un projet précis de transformation, (iii) soigner sa marque employeur pour les Millenials et (iv) adapter son modèle de management à la culture digitale – sont difficiles à aborder car elles impliquent une profonde remise en cause des valeurs culturelles sur lesquelles la vaste majorité de les organisations sont fondées : l’expertise individuelle, la hiérarchie, le commandement, le contrôle… L’écueil principal consiste à laisser penser au top et surtout au middle management que l’on peut s’accommoder d’une adaptation à minima de ces principes. Comme le souligne le sociologue des organisations François Dupuy : « Ce ne sont pas les gens qui se trompent, mais ceux qui échouent à comprendre ce qui les étonne ».

C’est aux dirigeants de créer l’environnement où les collaborateurs pourront s’épanouir.

Être heureux au travail compte!

On croyait autrefois qu’il n’y avait pas besoin d’être heureux au travail pour réussir. Et qu’il n’y avait pas besoin d’apprécier ses collègues, ni même de partager leurs valeurs. « Le travail n’a rien de personnel », telle était l’opinion générale. Une opinion archifausse.

Mes recherches auprès de dizaines d’entreprises et de centaines de personnes – ainsi que les études menées par des neuroscientifiques comme Richard Davidson et Vilayanur S. Ramachandran et des universitaires tel que Shawn Achor – mettent en évidence un constat simple : les gens heureux font de meilleurs travailleurs (lire aussi la chronique : « Comment le bien-être des salariés génèrent de la rentabilité »). Ceux qui sont impliqués dans leur poste et auprès de leurs collègues travaillent plus dur – et plus intelligemment.

Pourtant, un nombre alarmant de salariés ne sont pas engagés au travail. Selon un rapport Gallup de 2013 qui donne à réfléchir, 30% seulement des travailleurs américains seraient engagés. Cela fait écho à ce que j’ai constaté dans mes travaux. Peu de gens sont réellement « attachés émotionnellement et intellectuellement » à leur entreprise. Nombreux sont ceux qui se fichent éperdument de ce qui se passe autour d’eux. Pour eux, ils estiment « avoir fait le plus dur » dès le mercredi, puis ne travaillent que pour arriver au vendredi. Et il y a l’autre extrémité de la courbe en cloche : près d’un salarié sur cinq est activement désengagé, toujours selon le rapport Gallup. Ces individus sabotent les projets, poignardent leurs collègues dans le dos et causent en général de gros dégâts dans leur environnement de travail.

Le rapport Gallup indique également que l’engagement des employés est demeuré largement constant au fil des années, malgré les aléas de l’économie. De quoi donner le frisson : nous ne sommes pas impliqués dans notre travail, et cela ne date pas d’hier.

Il n’est pas très drôle de travailler avec des personnes désengagées et malheureuses. Elles n’apportent pas beaucoup de valeur ajoutée et ont un impact profondément négatif sur nos entreprises (et sur notre économie). C’est encore pire quand les leaders sont désengagés car leur attitude est contagieuse. Leurs émotions et leur état d’esprit affectent énormément l’humeur et la performance des autres salariés. Après tout, comment nous nous sentons est lié à ce que nous pensons et à la manière dont nous pensons. Autrement dit, la pensée influence l’émotion, et l’émotion influence la pensée.

Le poids des émotions

Il est temps de briser enfin le mythe selon lequel, au travail, les sentiments ne comptent pas. La science nous donne raison : il existe des liens neurologiques clairs entre les sentiments, les pensées et les actions. Lorsque nous sommes en proie à de fortes émotions négatives, c’est comme si nous avions des œillères. Nous nous concentrons principalement – parfois uniquement – sur la source de la douleur. Nous ne traitons pas aussi bien les informations, nous ne pensons pas de manière créative et nous ne prenons pas de bonnes décisions. Avec la frustration, la colère ou le stress, nous nous coupons d’une grande partie de nous-mêmes – celle qui pense et s’implique. Le désengagement est une réaction psychologique et neurologique naturelle aux émotions négatives envahissantes.

Mais ce n’est pas seulement des émotions négatives dont nous devons nous méfier. Des émotions positives extrêmement fortes peuvent avoir le même effet. Un certain nombre d’études montrent que trop de bonheur peut vous rendre moins créatif et enclin à adopter des comportements plus risqués (pensez à quel point nous pouvons agir de façon stupide quand nous tombons amoureux). En ce qui concerne le travail, j’ai vu des groupes d’individus se mettre dans tous leurs états lors de congrès commerciaux ou de séminaires d’entreprise. En général, peu de connaissances et d’innovations ne ressortent de ces réunions. Ajoutez à cela beaucoup d’alcool, et vous faites face à toute une série de problèmes.

Si l’on part du principe que nos états émotionnels au travail sont importants, que pouvons-nous faire pour accroître l’engagement et améliorer les performances ?

Ces dernières années, mon équipe au Teleos Leadership Institute et moi-même avons étudié des dizaines d’entreprises et interrogé des milliers de personnes. Nos premières conclusions concernant les liens entre les sentiments des individus et l’engagement sont tout à fait surprenants. Les désirs et les besoins qu’ils expriment présentent des similitudes évidentes, peu importe d’où ils viennent, pour qui ils travaillent ou dans quel domaine. On suppose souvent qu’il existe d’énormes différences entre les secteurs d’activité et d’un pays à l’autre, mais les recherches remettent en question cette hypothèse.

Les trois conditions de l’engagement

Tout le monde, ou presque, pense que pour être engagé et heureux, il nous faut trois choses :

1. Une vision claire de l’avenir. Lorsque les sujets ont échangé avec notre équipe de recherche à propos de ce qui fonctionnait et de ce qui ne fonctionnait pas dans leur entreprise, de ce qui les avaient aidés ou gênés, ils ont évoqué la vision. Les individus veulent pouvoir visualiser l’avenir et comprendre quel y est leur rôle. Et, comme nous le savons grâce à nos travaux sur le changement intentionnel menés avec le spécialiste du comportement organisationnel, Richard Boyatzis, les individus apprennent et évoluent lorsqu’ils ont une vision personnelle liée à une vision organisationnelle. Malheureusement, un trop grand nombre de leaders ne donnent pas une vision de l’avenir très percutante ; ils n’essaient pas de la lier à la vision personnelle des gens et ne communiquent pas bien. Et, en conséquence, ils perdent des collaborateurs.

2. La raison d’être. Les individus veulent avoir l’impression que leur travail compte, que leur contribution aide à réaliser quelque chose de vraiment important. Et à l’exception de ceux qui se trouvent au sommet, la valeur pour l’actionnaire n’est pas un objectif significatif, qui les excite et les engage. Ils veulent savoir qu’ils – et leur entreprise – font quelque chose d’important, qui compte pour les autres (lire aussi la chronique : « On ne trouve pas sa raison d’être, on la construit »).

3. De bonnes relations. On sait que les gens rejoignent une entreprise et quittent un patron. Une relation dissonante avec un patron est franchement douloureuse. Il en va de même des mauvaises relations avec les collègues. Dirigeants, managers et salariés s’accordent à dire que des relations étroites, de confiance et de soutien sont extrêmement importantes pour leur état d’esprit – et pour leur envie de contribuer au travail d’équipe.

En fait, la science du cerveau et la recherche organisationnelle sont en fait en train de briser les vieux mythes : les émotions comptent beaucoup au travail (lire aussi l’article : « Gérez votre culture émotionnelle »). Le bonheur est important. Pour être pleinement engagés, les individus ont besoin d’une vision, d’un sens, d’une raison d’être et de relations fortes.

C’est à nous, en tant qu’individus, de trouver des façons de vivre nos valeurs au travail et de bâtir de belles relations. Et c’est aux leaders de créer un environnement où les gens puissent s’épanouir. C’est simple et pragmatique : si vous voulez des collaborateurs engagés, prêtez attention à la manière dont vous bâtissez votre vision, dont vous associez le travail des salariés à la raison d’être de votre entreprise, et dont vous récompensez les personnes qui entrent en résonance avec les autres.

Le nouvel ordre économique

L’entreprise et la société seraient-elles prêtes à se réconcilier ?

Ces vingt dernières années, la globalisation et l’émergence de nouveaux acteurs économiques sur la scène internationale, la succession des crises économiques et financières, ainsi que l’accélération des transformations technologiques ont mis les entreprises et leurs dirigeants sous pression et ont totalement recomposé l’économie tout comme la physionomie même de l’entreprise. On oublie toutefois souvent que la mutation la plus importante est liée à l’influence réciproque entre l’entreprise et la société.

Le tribunal de l’opinion

Il y a vingt ans, les épisodes du benzène dans les bulles de Perrier, du naufrage de l’Erika, du poulet à la dioxine ou des canettes de soda contaminées inauguraient un véritable « tribunal de l’opinion ». On découvrait alors que l’opinion publique disposait d’un pouvoir colossal sur la vie des entreprises. Elle disposait en effet des capacités pour faire pression sur leur image de marque en boycottant leurs produits, en interpelant les pouvoirs publics pour voter des lois à leur encontre ou même en faisant intervenir la justice.

C’est comme si les citoyens avaient pris conscience, avec la complicité des journalistes, de l’emprise des entreprises et des marques sur leur vie, et qu’ils décidaient de les mettre sous contrôle. De leur côté, les comités exécutifs des entreprises découvraient que la réputation était un capital immatériel essentiel à la création de valeur à long terme.

L’ère de la défiance

Depuis, la défiance s’est installée et l’acceptabilité sociale des entreprises et des marques est désormais prise très au sérieux. Pris en étau entre des médias devenus sociaux et la pression de la société civile et des pouvoirs publics, le monde économique se ressaisit. Au tournant des années 2010, alors qu’on assiste à une prise de conscience de la menace que fait peser le réchauffement climatique sur la planète, les entreprises se rendent compte que leur comportement est un élément de leur attractivité, de leur respectabilité et… de leur pérennité (lire aussi l’article : « Etre résilient dans un monde qui se réchauffe »).

On parle alors de responsabilité sociétale des entreprises et de développement durable. Les grandes entreprises lancent des programmes de transformation qui visent d’abord à compenser et à réparer les effets néfastes de leur activités. Progressivement, ils visent ensuite à améliorer leurs modèles. La route est encore longue, les tentatives de « social washing » ou de « green washing » existent, mais elles sont durement sanctionnées par une opinion ultraréactive qui ne laisse plus rien passer. Désormais, le public reprend lentement confiance dans l’entreprise et fait même de l’entrepreneur un nouveau héros des temps modernes.

Le devoir d’influence positive

Les voix de certains économistes, comme Michael Porter, Joseph Stiglitz, Aaron Hurst ou Thomas Piketty, ont pointé ces dernières années les effets d’un capitalisme hors de contrôle et en perte complète de sens (lire aussi la chronique : « Pour un capitalisme à visage humain »).

Naturellement, certains grands patrons montrent la voie : Paul Polman, le patron visionnaire d’Unilever a, il y a quelques années, lancé son groupe dans la révolution du « purpose », démontrant que les grandes entreprises ont un devoir d’influence positive sur le monde. Emmanuel Faber, P-DG de Danone, est en train de renouveler l’idéal d’une entreprise responsable et utile à la société, initié par le fondateur de la société, Antoine Riboud. Désormais, c’est BlackRock, le puissant et redouté fonds d’investissement, et son patron emblématique, Larry Fink, qui rappellent les entreprises à l’ordre à propos de leur empreinte sociale.

Le label B Corp, incarné par des entreprises à but citoyen comme Kickstarter aux Etats-Unis, est prolongé en France par le statut d’entreprise à mission. Les initiatives, les propositions et les débats se multiplient. Le rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », produit par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, prépare la future loi Pacte qui devrait annoncer des mesures pour repenser sa place dans la société et faciliter les initiatives citoyennes.

Le cercle vertueux de l’engagement

Les initiatives en faveur d’une entreprise réhabilitée se développent au point qu’on en appelle parfois à une entreprise plus dévouée, plus bienfaisante et même plus charitable. Mais ne nous y trompons pas, une entreprise est, et restera, un projet économique tourné vers le profit et la performance. Et rien ne pourra l’en détourner. Inutile donc de lui demander d’être généreuse, sauf si l’on cherche seulement à lui faire expier ses fautes.

Le véritable objectif est plus intéressant : recréer les bases d’une économie vertueuse et altruiste. Il s’agit de commencer par convaincre les dirigeants et les actionnaires des entreprises qu’il est non seulement possible de réconcilier l’entreprise avec la société, mais que son engagement sociétal et environnemental est certainement l’une des clés de sa performance. Pourquoi ? Parce qu’une entreprise qui a une empreinte sociétale positive est une entreprise qui a du sens. Et une entreprise qui a du sens est une entreprise qui crée de l’engagement en retour : motivation et productivité des collaborateurs, attraction des meilleurs talents du marché, confiance des pouvoirs publics, plus grande bienveillance des médias, prescription de fans et d’influenceurs, et afflux de clients. C’est le cercle vertueux de l’engagement.

La génération « purpose »

Une nouvelle génération de leaders est en train d’émerger. Ils travaillent dans de grandes entreprises, ont entre 30 et 45 ans. Certains sont entrepreneurs, nombreux sont « intrapreneurs » dans l’âme. Ils sont tantôt en charge de l’innovation, des ressources humaines, du marketing, de la communication, de la RSE, etc. Et tous sont confrontés aux mêmes problématiques de transformation culturelle de l’entreprise et se posent la même question : celle du sens.

Pas question pour eux d’en finir avec l’entreprise. Ils veulent la repenser. Pas question non plus de briser le capitalisme. Ils veulent le réinventer. Mais pas question non plus de renoncer à un nouvel idéal, où l’entreprise n’est pas l’adversaire de la société mais est, au contraire, une ressource pour elle.

Ce sont eux qui, aujourd’hui, font bouger les lignes. Certains sont parfois reconnus, apparaissant dans divers palmarès, mais la plupart sont hors des radars. Ils agissent dans l’ombre de leurs dirigeants et se nourrissent du foisonnement d’une société civile qui, portée par la fameuse génération Y, n’a jamais été aussi créative, dynamique et entreprenante.